SUR LA RECEVABILITE de la requête No 16278/90 présentée par Senay KARADUMAN contre la Turquie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 3 mai 1993 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI M.A. NOWICKI M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 9 mars 1989 par Senay KARADUMAN contre la Turquie et enregistrée le 8 mars 1990 sous le No de dossier 16278/90 ; Vu la décision de la Commission, en date du 14 janvier 1992, de communiquer la requête ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 27 mars 1992 et les observations en réponse présentées par la requérante le 14 mai 1992 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT La requérante, ressortissante turque, née en 1966, a une licence en pharmacie et réside à Bursa (Turquie). Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. La requérante, ayant terminé ses études universitaires à la faculté de pharmacie d'Ankara, demanda au service de la scolarité de l'université de lui fournir un certificat provisoire attestant qu'elle avait obtenu la licence. Elle fournit une photo d'identité sur laquelle elle portait un foulard sur la tête. Par lettre du 28 juillet 1988, le doyen de la faculté informa la requérante qu'il refusait de lui délivrer le certificat en question, la photo d'identité produite par la requérante n'étant pas conforme au règlement disciplinaire de l'université et à la circulaire du 30 décembre 1982 du haut conseil de l'enseignement supérieur. Le doyen précisa qu'il était prêt à fournir le certificat demandé à condition que la requérante produise une photo d'identité conforme au règlement. Le 19 septembre 1988, la requérante introduisit devant le tribunal administratif d'Ankara un recours en annulation de la décision administrative du 28 juillet 1988. Elle allégua, entre autres, une atteinte à son droit à la liberté de religion et à la liberté de manifester sa religion, tel que garanti par la Constitution turque et la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Par jugement du 9 mars 1989, le tribunal administratif d'Ankara rejeta le recours de la requérante pour deux motifs. Il constata, d'une part, que l'article 29 du règlement de l'université d'Ankara sur l'enseignement portant sur la préparation des diplômes, prévoyait qu'une photo d'identité prise conformément aux "règles de tenues" de l'université soit apposée sur le diplôme. Le tribunal observa, d'autre part, que la circulaire émise le 30 décembre 1982 par le haut conseil de l'enseignement supérieur à propos des tenues vestimentaires des étudiants de l'université, prévoyait que les étudiants devaient porter des vêtements propres, simples, bien repassés, qu'ils ne devaient rien porter sur la tête et qu'ils devaient être bien coiffés. Le tribunal, compte tenu des dispositions des deux actes réglementaires, estima que la requérante devait produire une photo d'identité conforme à la tenue décrite ci-dessus. D'autre part, le tribunal constata que sur la photo d'identité en cause, la requérante était coiffée d'un foulard qui encadrait le visage de la requérante au niveau du front, des oreilles et de la mâchoire inférieure et que, dès lors, cette photo ne pouvait suffire à déterminer l'identité de l'étudiante. Le 25 avril 1989, la requérante attaqua ce jugement devant le Conseil d'Etat. Elle invoqua entre autres l'inapplicabilité des règlements invoqués par le tribunal administratif pour rejeter son recours et allégua également une violation de son droit à la liberté de religion, tel que présenté devant la première instance. Elle fit valoir également que sa carte d'identité, son passeport et son permis de conduire comportaient une photo sur laquelle elle était coiffée d'un foulard. La défense de l'administration (de l'université d'Ankara) se fondait sur les dispositions du circulaire du 30 décembre 1982 interdisant le port du foulard islamique dans les universités. Par arrêt du 16 octobre 1989, le Conseil d'Etat confirma, à la majorité, le jugement du 9 mars 1989. Elle considéra, à la lumière de sa jurisprudence établie, que l'acte administratif attaqué par la requérante était conforme au règlement intérieur de l'université concernant la tenue vestimentaire des étudiants. Entre-temps, par arrêt rendu le 7 mars 1989 et publié dans le Journal Officiel le 5 juillet 1989, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnelle une disposition légale autorisant le port du foulard dans les établissements d'enseignement supérieurs au motif que cette disposition était contraire au principe de laïcité énoncé dans la Constitution. Deux conseillers d'Etat indiquèrent dans leur opinion dissidente que le refus opposé par l'université était entaché de nullité du fait qu'aucune disposition réglementaire n'apportait expressément une description de la photo à apposer sur le diplôme. GRIEFS Devant la Commission, la requérante se plaint d'une atteinte à son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, contrairement à l'article 9 de la Convention, dans la mesure où son diplôme ne lui a pas été délivré pendant deux ans faute d'avoir fourni une photo d'identité à tête nue alors que cette tenue était contraire à la manifestation de ses convictions religieuses. La requérante se plaint également d'une discrimination faite par les autorités administratives entre les étudiantes de nationalité étrangère et celles de nationalité turque. Elle prétend que les ressortissantes étrangères bénéficient d'une liberté totale de tenue vestimentaire dans les universités turques alors que les étudiantes turques subissent les restrictions mentionnées ci-dessus et portant atteinte à leur liberté de religion. Elle invoque à cet égard l'article 14 de la Convention. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 9 mars 1989 et enregistrée le 8 mars 1990. Le 14 janvier 1992, la Commission, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci. Le Gouvernement a présenté ses observations le 27 mars 1992 et la requérante y a répondu le 14 mai 1992. EN DROIT La requérante se plaint d'une atteinte à son droit à la liberté de religion et de conscience, étant donné que la tenue qu'on exige d'elle pour la photo d'identité à apposer sur son diplôme d'université est contraire à ses convictions religieuses. Elle invoque à cet égard l'article 9 (art. 9) de la Convention. L'article 9 par. 1 (art. 9-1) de la Convention reconnaît à toute personne le "droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites." 1. L'épuisement des voies de recours internes Le Gouvernement défendeur soulève en premier lieu une exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes et qui s'analyse en quatre branches. Il fait observer en premier lieu que la requérante a introduit sa requête devant la Commission avant d'avoir épuisé les voies de recours internes, très exactement à la même date que celle de la décision du tribunal administratif, qui s'est prononcé en qualité de première instance en l'espèce (1ère branche de l'exception). Le Gouvernement défendeur fait valoir en outre que la requérante, qui a attaqué devant les juridictions administratives l'acte administratif lui refusant la délivrance de diplôme, a omis de mettre en cause la légalité de la circulaire du 30 décembre 1982 sur laquelle était fondé l'acte administratif incriminé (2ème branche de l'exception). Le Gouvernement indique par ailleurs que la requérante a omis d'introduire un recours en rectification de l'arrêt du Conseil d'Etat. Il soutient à cet égard que cette voie de recours, par laquelle le justiciable demande à la haute juridiction de réexaminer son arrêt définitif et qui est directement accessible aux justiciables, s'est transformée en une voie "ordinaire" dans la pratique judiciaire (3ème branche de l'exception). Enfin le Gouvernement défendeur soutient que la requérante a omis d'invoquer devant les juridictions nationales les articles 9 et 14 (art. 9, 14) de la Convention dont elle tire les griefs qu'elle soumet maintenant à la Commission (4ème branche de l'exception). La requérante conteste les thèses du Gouvernement défendeur et soutient avoir épuisé les voies de recours internes. Elle soutient avoir plaidé devant les juridictions nationales que l'acte administratif rejetant sa demande ainsi que la circulaire sur laquelle était fondé cet acte n'étaient ni prévus par la loi ni conformes à la Constitution (2ème branche de l'exception). La requérante affirme également avoir introduit son recours devant la plus haute juridiction administrative nationale, à savoir le Conseil d'Etat (3ème branche de l'exception) et avoir invoqué devant celui-ci la liberté de religion et le principe de prévention de la discrimination, tels qu'énoncés dans la Constitution (4ème branche de l'exception). La Commission a examiné les arguments développés par les parties au sujet de l'épuisement des voies de recours internes et est arrivée aux conclusions suivantes : Pour ce qui est de la première branche de l'exception soulevée par le Gouvernement, la Commission rappelle sa jurisprudence constante, confirmée par la Cour dans son arrêt Ringeisen : "Ainsi, tout en maintenant intégralement que le requérant a, en principe, l'obligation de faire l'essai loyal des divers recours internes avant de saisir la Commission, il doit être loisible à celle-ci de tolérer que le dernier échelon de ces recours soit atteint peu après le dépôt de la requête, mais avant qu'elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité." (arrêt du 16 juillet 1971, série A N° 13, p. 38, par. 91) La Commission rappelle qu'elle a déjà estimé ne pas devoir rejeter un grief pour non-épuisement des voies de recours internes en raison du fait que des recours étaient encore pendants au moment de l'introduction de la requête (voir notamment Luberti c/Italie, déc. 7.7.1981, D.R. 27 p. 187). Elle estime dès lors que cette branche de l'exception ne saurait être acceptée. Pour ce qui est de la possibilité d'introduire un recours en annulation de la circulaire du 30 décembre 1982 (2ème branche de l'exception), la Commission observe que la requérante a invoqué devant les juridictions nationales les dispositions constitutionnelles garantissant la liberté de religion et le principe de la non- discrimination. La Commission rappelle également que les juridictions administratives turques peuvent examiner d'office la légalité d'un acte administratif individuel mis en cause, indépendamment du problème de la légalité de l'acte administratif réglementaire y relatif. Les juridictions invitées à statuer sur la cause de la requérante étaient donc en mesure de se prononcer en l'espèce sur une éventuelle violation de la Convention. La requérante n'était donc pas tenue d'épuiser d'autres voies de recours y compris celle indiquée par le Gouvernement (cf. mutatis mutandis Cour Eur. D. H., arrêt Airey du 7 octobre 1979, série A N° 32, p. 12, par. 23; N° 9697/82, déc. 7.10.83, D.R. 34 p. 131). En ce qui concerne le recours en rectification d'arrêt mentionné par le Gouvernement (3ème branche de l'exception), la Commission note qu'en droit turc, ce recours a pour objet d'inviter la juridiction ayant rendu l'arrêt attaqué, à réviser cet arrêt en raison d'une erreur de sa part. En fait, la juridiction en cause procède à un deuxième examen de la même affaire sur simple recours des parties, sans qu'il y ait d'éléments nouveaux. La Commission doit apprécier à la lumière de chaque cas d'espèce si un recours interne déterminé semblait offrir à la requérante un moyen efficace pour redresser le grief qu'il soulève (cf. entre autres Nos 5577-5583/72, déc. 15.12.72, D.R. 4 p. 4 à la p. 151). La requérante n'est pas tenue de faire usage du recours qui, "selon l'opinio communis" existant à l'époque n'est pas de nature à parer à ses griefs (Cour Eur. D.H., arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1979, série A N° 12, p. 34, par. 62). En l'espèce, la Commission relève que le Conseil d'Etat a rejeté le recours de la requérante en application de sa jurisprudence constante, selon laquelle les étudiants doivent se conformer aux règlements des universités en matière de tenue vestimentaire. Elle estime dès lors que, dans les circonstances de l'espèce, le recours en rectification d'arrêt n'était pas une voie de recours efficace pour ce genre de grief. Pour ce qui est de la possibilité d'invoquer les dispositions de la Convention devant les juridictions nationales (4ème branche de l'exception), la Commission rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle l'épuisement des voies de recours internes est réalisé lorsque, devant l'instance suprême, la requérante expose la substance du grief soumis à la Commission même sans faire allusion à la Convention (cf. entre autres N° 7299/77 et 7496/76, déc. 4.12.79, D.R. 18 p. 5). Elle constate qu'en l'espèce, la requérante, en invoquant la liberté de religion et le principe de non-discrimination tels que garantis par la Constitution turque, a rempli cette condition. Dans ces circonstances, la Commission est d'avis que l'exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue. Il s'ensuit que la requérante a satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l'article 26 (art. 26) de la Convention. 2. Sur le bien-fondé Le Gouvernement soutient en premier lieu que le refus dont se plaint la requérante ne constitue pas une ingérence dans sa liberté de religion et de culte. Il estime que le fait d'avoir la tête non couverte dans les locaux des universités ainsi que le fait de fournir une photo d'identité à tête nue afin de se conformer aux règles disciplinaires de l'université n'empêche pas la personne de pratiquer sa religion. Le Gouvernement défendeur soutient en deuxième lieu que l'obligation du respect du principe de laïcité imposée aux étudiants de l'université doit être considérée comme étant conforme aux restrictions prévues au par. 2 de l'article 9 (art. 9-2) de la Convention. Il fait observer que la Cour constitutionnelle turque, par arrêt du 7 mars 1989, a déclaré inconstitutionnelle une disposition légale permettant le port du foulard dans les établissements d'enseignement supérieur au motif que cette disposition était contraire au principe de laïcité. La Cour constitutionnelle a précisé, ajoute le Gouvernement défendeur, que le port du foulard islamique pouvait conduire à prétendre que les femmes qui n'en portent pas sont des athées, et ainsi faire naître des conflits dans la société. En revanche, la requérante fait observer que, bien qu'elle ait terminé avec succès ses études universitaires il y a cinq ans, elle ne peut toujours pas obtenir son diplôme pour n'avoir pas fourni une photo d'identité sur laquelle elle doit apparaître la tête non couverte. Elle soutient que l'acte de couvrir sa tête par un foulard fait partie des rites et des pratiques prévues par la religion. La requérante soutient en outre que le refus de l'université de lui fournir son diplôme constitue une ingérence dans sa liberté de religion et de conviction, qui ne peut être justifiée par le respect du principe de laïcité. Elle fait une distinction entre le principe de laïcité et la tenue vestimentaire. Elle soutient que la laïcité fait partie des principes politiques d'un modèle gouvernemental. Le fait de porter individuellement le foulard ou le turban islamique ne correspond qu'à l'accomplissement d'une pratique religieuse et n'enfreint pas la laïcité de l'Etat. La Commission rappelle que l'article 9 (art. 9) de la Convention protège expressément "le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites" d'une religion ou d'une croyance. La Commission a déjà décidé que l'article 9 (art. 9) de la Convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée par cette conviction. Notamment, le terme "pratiques", au sens de l'article 9 par. 1 (art. 9-1), ne désigne pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction (cf. N° 7050/75 Arrowsmith c/ Royaume-Uni, rapport Comm. par. 71, D.R. 19 p. 5 et N° 10358/83, déc. du 15.12.83, D.R. 37 p. 142). Pour savoir si cette disposition a été méconnue en l'espèce, il faut d'abord rechercher si la mesure litigieuse constituait une ingérence dans l'exercice de la liberté de religion. La Commission observe que les règles applicables aux photos d'identité à utiliser pour apposer sur les diplômes, bien que ne concernant pas directement les règles disciplinaires régissant la vie quotidienne dans les universités, font cependant partie des règles universitaires établies dans le but de préserver la nature "républicaine", donc "laïque", de l'université ainsi que l'ont constaté les juridictions nationales ayant statué en l'espèce. La Commission est d'avis qu'en choisissant de faire ses études supérieures dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire. Celle-ci peut soumettre la liberté des étudiants de manifester leur religion à des limitations de lieu et de forme destinées à assurer la mixité des étudiants de croyances diverses. Notamment, dans les pays où la grande majorité de la population adhère à une religion précise, la manifestation des rites et des symboles de cette religion, sans restriction de lieu et de forme, peut constituer une pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas ladite religion ou sur ceux adhérant à une autre religion. Les universités laïques, lorsqu'elles établissent les règles disciplinaires concernant la tenue vestimentaire des étudiants, peuvent veiller à ce que certains courants fondamentalistes religieux ne troublent pas l'ordre public dans l'enseignement supérieur et ne portent pas atteinte aux croyances d'autrui. La Commission note que dans la présente affaire, le règlement de l'université concernant la tenue vestimentaire impose aux étudiants, entre autres, d'avoir la tête non couverte par un foulard. La Commission prend également en considération les observations de la Cour constitutionnelle turque qui estime que le port de foulard islamique dans les universités turques peut constituer un défi à l'égard de ceux qui ne le portent pas. La Commission rappelle qu'elle avait estimé compatible avec la liberté de religion, protégée par l'article 9 (art. 9) de la Convention, l'obligation imposée à un enseignant de respecter les heures de travail qui correspondaient, selon lui, à ses heures de prière (N° 8160/78, X. c/ Royaume-Uni, déc. 12.3.81, D.R. 22 p. 27). Il en est de même pour ce qui est de l'obligation faite à un motocycliste de porter un casque qui était, selon lui, en conflit avec ses devoirs religieux (N° 7992/77, X. c/ Royaume-Uni, déc. du 12.7.78, D.R. 14 p. 234). La Commission considère que le statut d'étudiant dans une université laïque implique, par nature, la soumission à certaines règles de conduite établies afin d'assurer le respect des droits et libertés d'autrui. Le règlement d'une université laïque peut prévoir également que le diplôme qu'on fournit aux étudiants ne reflète en aucune manière l'identité d'un mouvement s'inspirant d'une religion et auquel peuvent participer ces étudiants. La Commission est d'avis également qu'un diplôme universitaire a pour but d'attester des capacités professionnelles d'un étudiant et ne constitue pas un document destiné à l'attention du grand public. La photo apposée sur un diplôme a pour fonction d'assurer l'identification de l'intéressé et ne peut être utilisée par celui-ci afin de manifester ses convictions religieuses. La Commission observe en l'espèce que les autorités administratives ainsi que les juridictions nationales ont constaté que le règlement de l'université exige que la requérante fournisse une photo d'identité conforme à la tenue vestimentaire réglementaire. Elle note par ailleurs que le rejet opposé par l'administration de la faculté à la demande de la requérante d'obtenir son diplôme n'est pas définitif mais circonstancié : la délivrance du diplôme est en effet liée à la condition que la requérante produise une photo conforme au règlement. La Commission relève en outre que la requérante ne fait aucunement observer avoir été obligée, lors de ses études à l'université, de respecter, contre sa volonté, le règlement concernant la tenue vestimentaire. Dans ces conditions, la Commission estime, compte tenu des exigences du système de l'université laïque, que le fait de réglementer la tenue vestimentaire des étudiants ainsi que celui de leur refuser les services de l'administration, tels la délivrance d'un diplôme, aussi longtemps qu'ils ne se conforment pas à ce règlement, ne constitue pas en tant que tel une ingérence dans la liberté de religion et de conscience. La Commission ne relève donc aucune ingérence dans le droit garanti par l'article 9 par. 1 (art. 9-1) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ailleurs, dans la mesure où la requérante se plaint d'une discrimination, quant à la tenue vestimentaire dans les universités turques, entre les étudiantes de nationalité étrangères et celles de nationalité turques, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par la requérante révèlent l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes". Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que la requérante a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 5574/72, déc. 21.3.75, D.R. 3 pp. 10, 22 ; No 10307/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 pp. 113, 127). En l'espèce, la requérante n'a pas soulevé au cours de la procédure devant le Conseil d'Etat ce grief précis dont elle se plaint maintenant devant la Commission. De plus, l'examen de l'affaire n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser la requérante de soulever ce grief dans la procédure susmentionnés. Il s'ensuit que la requérante n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que cette partie de sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)