SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 24645/94 présentée par Cristoforo BUSCARINI, Emilio DELLA BALDA et Dario MANZAROLI contre la République de Saint-Marin La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 7 avril 1997 en présence de M. S. TRECHSEL, Président Mme G.H. THUNE Mme J. LIDDY MM. E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO B. CONFORTI I. BÉKÉS J. MUCHA D. SVÁBY G. RESS A. PERENIC C. BÎRSAN P. LORENZEN K. HERNDL E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA M. VILA AMIGÓ Mme M. HION MM. R. NICOLINI A. ARABADJIEV M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 17 novembre 1993 par Cristoforo BUSCARINI, Emilio DELLA BALDA et Dario MANZAROLI contre la République de Saint-Marin et enregistrée le 20 juillet 1994 sous le N° de dossier 24645/94 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 14 décembre 1995, après prorogation du délai initialement imparti, et les observations en réponse présentées par les requérants le 25 janvier 1996 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Les requérants sont des ressortissants de la République de Saint- Marin, résidant dans cet Etat et actuellement membres du "Conseil Grand et Général" ("Consiglio Grande e Generale"), le Parlement de la République de Saint-Marin. Ils sont nés respectivement en 1943, 1937 et 1953. Ils sont respectivement fonctionnaire, expert financier et médecin. Circonstances particulières de l'affaire Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Les requérants furent élus au Conseil Grand et Général à l'issue des élections du 30 mai 1993. Peu après, ils demandèrent à la Régence ("Reggenza"), qui exerce les fonctions de présidence du conseil, de prêter le serment prescrit par l'article 55 de la loi électorale n° 36 de 1958 sans faire référence à des textes religieux. En effet, cette dernière loi renvoyait au décret du 27 juin 1909, prévoyant la formule du serment prêté par les députés de la République. Cette formule se lisait ainsi : "Sur les Saints Evangiles, Je (...) jure et promets perpétuelle fidélité et obéissance à la Constitution de la République, de soutenir et défendre la liberté de toutes mes forces, d'observer toujours les Statuts et Décrets tant anciens que nouveaux et à venir ; nommer et donner ma voix uniquement à ceux que je considérerai aptes, fidèles et adéquats pour prêter service à la République dans toutes les fonctions de Magistrature et d'autres Offices publics, sans me laisser transporter par aucune passion de haine ou d'amour, ou par toute autre considération." A l'appui de leur demande, les requérants invoquèrent l'article 4 de la Loi constitutionnelle n° 59 de 1974, qui garantit le droit à la liberté de religion, et l'article 9 de la Convention. Lors de la séance du Conseil Grand et Général du 18 juin 1993, les requérants prêtèrent serment par écrit selon la formule prévue par le décret du 27 juin 1909, mais sans se référer aux Evangiles. Le premier requérant souligna par ailleurs les obligations souscrites par la République de Saint-Marin en adhérant à la Convention européenne des droits de l'homme. Sur demande de la Régence, le 12 juillet 1993 le Secrétariat du Conseil Grand et Général émit un avis concluant à l'irrégularité du serment prêté par les requérants et renvoya l'examen de la question à ce dernier. Lors de sa séance du 26 juillet 1993, le Conseil Grand et Général adopta une résolution proposée par la Régence, enjoignant aux requérants de répéter le serment et de jurer cette fois-ci sur les Evangiles ("(...) sopra i Santi Evangeli (...)"), sous peine de déchéance du mandat parlementaire. Les requérants s'assujettirent à la sommation du Conseil et prêtèrent serment sur les Evangiles, tout en se plaignant d'une violation de leur liberté de religion et de conscience. Les deux premiers requérants annoncèrent à cette même occasion leur intention d'introduire une requête devant la Commission européenne des droits de l'homme. Cette situation fit l'objet d'une série d'articles de presse. En particulier: a) le quotidien italien "Il Resto del Carlino" publia, le 19 juin 1993, une interview avec le troisième requérant, lequel déclara son intention "d'aller jusqu'au bout, jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme" ; b) le quotidien de la République de Saint-Marin ("Il Quotidiano Sanmarinese") relata, dans deux articles des 19 juin et 14 juillet 1993, la teneur des déclarations faites par les requérants devant le Conseil Grand et Général ; il en fut de même d'un article publié par le quotidien italien "Il Messaggero" le 27 juillet 1993. Enfin, la loi n° 115 du 29 octobre 1993 a introduit le choix, pour les membres du Conseil Grand et Général nouvellement élus, entre la formule de serment traditionnelle et celle remplaçant la référence aux Evangiles par la phrase "sur mon honneur". Autres dispositions pertinentes du droit interne Aux termes de l'article 10 de la loi n° 68 du 28 juin 1989 sur la juridiction administrative, "les actes du Conseil Grand et Général ainsi que les actes du Congrès d'Etat ayant un contenu politique sont exclus de la juridiction administrative". Par ailleurs, l'article 1 par. 1 de cette même loi stipule notamment que la protection juridictionnelle des intérêts vis-à-vis de l'administration est excercée par le Tribunal administratrif. Selon l'article 15 par. 1 de la loi n° 59 du 8 juillet 1974 (Déclaration des droits des citoyens et des principes fondamentaux du droit de Saint-Marin), "la protection juridictionnelle des droits et des intérêts légitimes est garantie devant les organes des juridictions ordinaires et administratives". En outre, l'article 16 de cette même loi prévoit que "les juges sont tenus d'observer les principes de la présente déclaration en interprétant et en appliquant le droit. Lorsque la légalité d'une disposition soulève des doutes, le juge peut demander au Conseil Grand et Général de s'exprimer, après avoir recueilli l'avis d'experts". Par ailleurs, la section XIX du Livre 1er des Statuts régit la procédure dite du "Contrôle de la Régence" ("Sindacato della Reggenza"). Ce mécanisme prévoit en substance qu'une fois leur mandat expiré, les Capitaines Régents ("Capitani Reggenti") sont soumis au contrôle exercé par un organe composé de deux membres du Conseil Grand et Général désignés par ce dernier, qui sont appelés à apprécier leurs actes (ou omissions), sur réclamation de n'importe quel citoyen. GRIEF Les requérants, invoquant l'article 9 de la Convention, affirment que le fait d'avoir été obligés par le Conseil Grand et Général à prêter serment sur les Evangiles, en dernier lieu à l'issue de la délibération du 26 juillet 1993, constitue une atteinte à leur liberté de religion et de conscience. Ils soulignent que l'obligation qui leur a été imposée par le Conseil Grand et Général comporte que dans la République de Saint-Marin, seules les personnes professant publiquement la religion catholique peuvent être admises à exercer le mandat parlementaire, subordonnant ainsi l'exercice d'un droit politique fondamental à la profession d'une religion déterminée. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 17 novembre 1993 et enregistrée le 20 juillet 1994. En particulier, par courrier daté du 17 novembre 1993, le premier requérant a exposé avec précision le grief objet de la requête et a indiqué explicitement agir en son propre nom ainsi qu'au nom des deux autres requérants. Deux formules de requête, signées par le premier et par le deuxième requérant et renvoyant au contenu de la lettre du 17 novembre 1993, sont parvenues à la Commission respectivement les 1er et 18 juillet 1994. En outre, sur sollicitation du Secrétariat de la Commission le troisième requérant a fait parvenir une déclaration formelle d'adhésion à la requête en date du 24 août 1995. Le 11 septembre 1995, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 14 décembre 1995, après prorogation du délai imparti, et les requérants y ont répondu le 25 janvier 1996. EN DROIT Les requérants, invoquant l'article 9 (art. 9) de la Convention, affirment que le fait d'avoir été obligés par le Conseil Grand et Général à prêter serment sur les Evangiles constitue une atteinte à leur liberté de religion et de conscience. L'article 9 (art. 9) de la Convention dispose ce qui suit: "1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Le Gouvernement défendeur soulève tout d'abord une exception d'irrecevabilité tirée du caractère abusif de la requête, découlant selon lui des déclarations faites à plusieurs reprises par les requérants et annonçant leur intention de s'adresser aux organes de Strasbourg. En deuxième lieu, le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée du caractère tardif de la requête en ce que la formule de requête, dont la présentation est selon le Gouvernement indispensable pour pouvoir saisir régulièrement la Commission, n'a été envoyée que le 1er juillet 1994 par le premier requérant et le 18 juillet 1994 par le deuxième requérant, donc plus de six mois après la date de la décision interne définitive. Quant au troisième requérant, le Gouvernement souligne que celui-ci n'a présenté aucune formule de requête. Le Gouvernement conteste la régularité formelle de la présente requête également sous d'autres angles. Il observe en effet que le premier requérant n'a pas reçu de procuration écrite de la part des deux autres requérants, qu'il n'exerce pas la profession d'avocat et qu'on ne saurait dès lors déduire un mandat implicite de la part du deuxième et troisième requérants au premier de les représenter devant la Commission. En fait, le deuxième requérant a fait parvenir sa formule de requête uniquement le 18 juillet 1994 et ce n'est qu'en date du 24 août 1995 que le troisième requérant s'est formellement associé à la requête. Cette dernière adhésion, formulée à l'égard d'une requête présentée deux ans auparavant par une autre personne dépourvue de procuration ne produirait donc ses effets qu'ex nunc. En troisième lieu, le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Le Gouvernement soutient en effet que l'injonction faite aux requérants par le Conseil Grand et Général le 26 juillet 1993 constitue un acte de nature politique. Il s'ensuit, selon le Gouvernement, que la loi n° 68 de 1989, et en particulier son article 10 excluant tout recours contre les actes du Conseil Grand et Général, ne s'appliquerait pas, car elle ne concernerait que les actes administratifs du Conseil Grand et Général, tels par exemple que l'expropriation d'archives revêtant un intérêt historique important, et non pas les actes politiques. Par conséquent, selon le Gouvernement les requérants auraient pu et dû recourir devant le juge civil ordinaire pour la réparation du préjudice moral résultant de la violation d'un droit, en application du principe consacré par l'article 15, par. 1 de la loi n° 59 de 1974. Aucune disposition du droit de Saint-Marin ne les en aurait empêchés. En outre, les requérants auraient pu de toute façon saisir le juge administratif en même temps que le juge civil, en vue de faire constater l'illégalité de l'article 10 de la loi n° 68 de 1989 par rapport à l'article 15 par. 1 de la loi n° 59 de 1974, sur la base de la procédure prévue par l'article 16 de cette dernière loi. Par ailleurs, les requérants, selon le Gouvernement, auraient pu attaquer également la Régence par le biais de la procédure dite du "Contrôle de la Régence". S'il est vrai que l'organe compétent à cet égard est un tribunal spécial, le Gouvernement conteste néanmoins sa nature de remède extraordinaire. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement estime que les requérants auraient dû provoquer un jugement qui aurait pu au moins éclaircir la nature de l'acte contesté, car il n'appartiendrait de toute façon pas à la Commission d'opérer une telle qualification à la place des autorités nationales, ou aboutir à une déclaration d'incompétence, avant de saisir la Commission. Quant au fond, le Gouvernement considère que la formule du serment en question n'a pas une valeur religieuse stricte, s'agissant plutôt d'un élément de nature historique, sociale et traditionnelle, la République de Saint-Marin ayant été fondée par un homme de religion. D'ailleurs, la République de Saint-Marin est un Etat laïque et la liberté de religion est expressément consacrée à l'article 4 de la Charte des droits de 1974. La formule de serment des membres du Conseil Grand et Général, tout comme celle de certains fonctionnaires publics, a perdu le caractère religieux originaire et n'a qu'une valeur historique, ce qui d'ailleurs est le cas également pour certaines fêtes religieuses qui font partie du calendrier civil. Le Gouvernement rappelle également que par le passé, les requérants avaient à plusieurs reprises prêté serment selon la formule maintenant contestée. Le Gouvernement soutient ensuite qu'à supposer même que le serment contesté puisse être considéré comme constituant une restriction à la liberté de religion, celle-ci se justifierait pleinement comme étant nécessaire pour la défense de l'ordre public, car le respect des traditions a toujours été un élément de cohésion sociale et une garantie pour l'indépendance de Saint-Marin. La Commission ne saurait réduire la large marge d'appréciation dont l'Etat doit pouvoir jouir en la matière. Enfin, le Gouvernement conclut que de toute manière, les requérants ont perdu tout intérêt dans la poursuite de leur requête, étant donné que la loi n° 115 de 1993 a rendu explicite la laïcité du serment controversé qui existait déjà de facto, en prenant dûment en compte la sensibilité laïque de la conscience de la culture moderne de l'individu. Cette loi, souligne le Gouvernement, ne découle donc pas d'une nécessité de mettre le décret de 1909 en conformité avec les principes fondamentaux de la République de Saint-Marin. Les requérants s'opposent à la thèse du Gouvernement et soutiennent en premier lieu que les actes du Conseil Grand et Général de nature politique ne sont aucunement attaquables, compte tenu notamment de la nature et de l'étendue de ses pouvoirs et prérogatives, tels qu'ils ressortent de la section III du Livre 1er des Statuts. Aucune action n'aurait donc pu être entamée ni devant la juridiction administrative, compte tenu de la teneur de l'article 10 de la loi n° 68 de 1989, ni devant le juge ordinaire. Quant à la possibilité de demander un contrôle de légitimité sur la base de l'article 16 de la loi n° 4 de 1989, les requérants observent qu'un tel contrôle, à supposer même qu'il puisse être considéré comme efficace étant donné qu'il serait exercé par le même organe ayant adopté l'acte formant l'objet du contrôle, ne serait pas directement accessible car il devrait être demandé par le juge. En outre, quant au mécanisme de contrôle des Capitaines Régents les requérants observent que l'acte dont il se plaignent provient du Conseil Grand et Général et non pas de ceux-ci. Par ailleurs, les requérants considèrent que l'adoption de la loi n° 115 de 1993 n'a pas véritablement résolu le problème, car elle ne concerne que les membres du Conseil Grand et Général et non pas d'autres charges tels que les Régents ou les membres du Gouvernement, et de toute manière ils n'ont pas obtenu de réparation pour le préjudice qu'eux-mêmes ont subi. D'ailleurs, le problème, selon les requérants, découle du Concordat signé entre Saint-Marin et l'Eglise catholique le 2 avril 1992 et qui a attribué à cette dernière des privilèges discriminant les autres religions. En tout cas, le Gouvernement aurait pu aisément modifier le décret de 1909 en adoptant un décret-loi entre la déclaration du premier requérant du 18 juin 1993 et la délibération du 26 juillet 1993. Enfin, les requérants rejettent les autres exceptions de nature formelle avancées par le Gouvernement défendeur et soulignent qu'ils n'ont jamais divulgué de documents réservés concernant leur requête, se bornant uniquement à manifester leur intention de s'adresser aux organes de la Convention. Quant à l'exception du Gouvernement tirée du caractère abusif de la requête, la Commission note que les requérants se sont bornés à annoncer, d'une manière plutôt générique, leur intention de recourir aux organes de la Convention, et considère que ce fait ne suffit pas à lui seul pour conclure au caractère abusif de la requête, les requérants n'ayant jamais rendu publiques des informations relatives à la procédure devant la Commission après l'introduction de leur requête. Dans ces circonstances, on ne saurait considérer que ceux-ci aient manqué à leur devoir de respecter la confidentialité de la procédure devant la Commission (voir, a contrario, n° 26135/95, déc. 5.3.96, D.R. 84-A, pp. 156, 162). La Commission rappelle par ailleurs qu'une requête inspirée notamment par un désir de publicité ou de propagande "pourrait être jugée abusive s'il apparaissait à l'évidence qu'elle n'est étayée par aucun fait ou qu'elle sort du champ d'application de la Convention", ce qui n'est pas le cas en l'espèce (voir n° 11208/84, déc. 4.3.86, D.R. 46, pp. 182, 194). Cette première exception du Gouvernement doit dès lors être rejetée. En ce qui concerne l'exception du Gouvernement tirée du caractère tardif de la requête, la Commission rappelle que selon sa pratique constante, le cours du délai de six mois est interrompu par la première lettre de la partie requérante exposant sommairement l'objet de la requête, à condition que cette lettre ne soit pas suivie d'un long laps de temps avant que la requête soit complétée (voir n° 12158/86, déc. 7.12.87, D.R. 54, p. 178). Ce qui est essentiel c'est qu'avant l'expiration du délai de six mois, la partie requérante soit clairement identifiable et que celle-ci ait présenté, au moins en substance, ses griefs, les autres formalités pouvant être accomplies par la suite. Par ailleurs, la Commission rappelle que ni la Convention ni le Règlement intérieur de la Commission ne requièrent que la partie requérante soit représentée par un juriste (voir l'article 32 par. 2 du Règlement intérieur). En l'espèce, la Commission note que par courrier daté du 17 novembre 1993, donc avant l'expiration du délai de six mois, le premier requérant a exposé avec précision le grief objet de la présente requête et a indiqué explicitement agir en son propre nom ainsi qu'au nom des deux autres requérants. Deux formules de requête, signées par le premier et par le deuxième requérant et renvoyant au contenu de cette lettre, sont parvenues à la Commission respectivement les 1er et 18 juillet 1994. En outre, le troisième requérant a fait parvenir une déclaration formelle d'adhésion à la requête en date du 24 août 1995. Dès lors, la Commission estime que la requête a bien été introduite à l'égard de tous les requérants avant l'expiration du délai prévu par l'article 26 (art. 26) de la Convention et qu'elle a été dûment complétée par la suite. Cette exception doit dès lors être également rejetée. Quant à l'exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Commission rappelle que la règle de l'épuisement prévue par l'article 26 (art. 26) de la Convention n'impose l'exercice des recours que pour autant qu'il en existe qui soient accessibles aux intéressés et adéquats, c'est-à-dire de nature à porter remède à leurs griefs. Par ailleurs, il incombe au Gouvernement qui soulève l'exception d'indiquer les moyens qui, à son avis, étaient à la disposition des intéressés et auraient dû être utilisées par eux jusqu'à épuisement (voir Cour eur. D.H., arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c/Belgique du 18 juin 1971, série A n° 12, p. 33, par. 60). La Commission rappelle ensuite que les voies de recours indiquées par le Gouvernement doivent exister avec un degré suffisant de certitude, en pratique et en théorie, sans quoi leur manquent l'accessibilité et l'efficacité voulues (voir par exemple Cour eur. D.H., arrêt De Jong, Baljet et Van den Brink c/Pays Bas du 22 mai 1984, série A n° 77, p. 19, par. 39). Dans le cas d'espèce, la Commission considère que le Gouvernement défendeur n'a aucunement démontré l'existence de remèdes efficaces et accessibles aux requérants à l'encontre de la délibération du Conseil Grand et Général du 26 juillet 1993. En effet, la loi n° 68 de 1989 exclut explicitement tout recours devant le juge administratif contre les actes du Conseil Grand et Général et la voie de recours devant le juge ordinaire demeure tout à fait hypothétique. D'ailleurs, non seulement le Gouvernement n'a-t-il produit aucun précédent de décision judiciaire visant des actes du Conseil Grand et Général, mais il a lui- même reconnu qu'un recours juridictionnel n'aurait pu servir qu'à éclaircir la nature de l'acte du Conseil Grand et Général contesté ou à aboutir à une déclaration d'incompétence, ce qui ne peut pas satisfaire à l'exigence d'efficacité d'un recours incorporée dans l'article 26 (art. 26) de la Convention. La Commission relève également que le mécanisme de contrôle des Capitaines Régents n'aurait pas non plus pu porter remède à la situation litigieuse, car indépendamment de la question relative à son efficacité, dont on peut légitimément douter, il n'aurait de toute façon pas visé l'acte du Conseil Grand et Général dont selon les requérants découle la violation de la Convention qu'ils allèguent. Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement. Enfin, dans la mesure où le Gouvernement conteste la qualité de victime dans le chef des requérants, la Commission observe que la modification de la formule de serment introduite par la loi n° 115 de 1993 n'a pas privé ceux-ci de la qualité de victime puisque l'entrée en vigueur de cette loi n'a pas entraîné de réparation au bénéfice de ces derniers, dont le mandat parlementaire est resté lié au serment qu'ils ont dû prêter selon la vieille formule sous peine de déchéance. De l'avis de la Commission, les requérants peuvent dès lors se prétendre victimes de la violation de la Convention alléguée. La Commission considère en conclusion que la requête soulève des questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate, par ailleurs, que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. H.C. KRÜGER S. TRECHSEL Secrétaire Président de la Commission de la Commission