SUR LA RECEVABILITE de la requête No 17889/91 présentée par M.B. contre la Suisse __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 5 mai 1993 en présence de MM. E. BUSUTTIL, Président en exercice de la Première Chambre A.S. GÖZÜBÜYÜK Sir Basil HALL M. C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI Mme. M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Première Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 17 décembre 1990 par M.B. contre la Suisse et enregistrée le 11 mars 1991 sous le No de dossier 17889/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant est un ressortissant suisse, né en 1956. Il est journaliste et réside en France. Devant la Commission, il est représenté par Maître Daniel Vischer, avocat à Zurich. Le 15 novembre 1979, le requérant a été condamné par jugement du tribunal militaire de Division I à trois mois d'emprisonnement pour refus de servir, commis à la suite d'un grave conflit de conscience. Par cette même décision, le requérant a été exclu de l'armée. Le 2 août 1979, le tribunal de police du district de Lausanne a condamné le requérant à dix jours d'arrêts avec sursis pour non- paiement de la taxe militaire de 1977. Cette même juridiction a prononcé à l'encontre du requérant, le 30 mai 1980, la peine de dix jours d'arrêts pour non-paiement de la taxe militaire de 1978. La même peine a été prononcée, le 15 janvier 1982, par la même autorité pour non-paiement de la taxe militaire de 1979. Par deux jugements datés du 18 octobre 1982 et du 12 décembre 1983, cette même juridiction a prononcé à l'encontre du requérant la peine de dix jours d'arrêts pour non-paiement de la taxe militaire pour les années 1980 et 1981. Par jugement du 31 août 1989, le tribunal de police du district de Lausanne a condamné le requérant à quinze jours d'emprisonnement pour non-paiement de la taxe militaire dues pour les années 1982, 1983, 1984, 1985 et 1986. Le 11 janvier 1990, la cour de cassation pénale du tribunal cantonal du canton vaudois a rejeté un recours introduit par le requérant contre les jugements susmentionnés. Elle a estimé que l'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme que le requérant invoquait ne permettait pas de s'opposer à une contribution financière arrêtée aux termes d'un processus démocratique. Il a également relevé qu'aucune violation de la liberté d'expression du requérant n'avait eu lieu en l'espèce, dans la mesure où la condamnation de celui-ci ne tendait pas à l'empêcher d'exprimer ses opinions mais à assurer, par la contrainte, l'égalité des charges entre les citoyens. Le requérant s'est pourvu en nullité contre l'arrêt de la cour de cassation pénale devant le Tribunal fédéral. Il a invoqué à l'appui de ce recours une violation du principe de la légalité des délits et des peines garantis aux articles 1 du Code pénal fédéral et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ainsi qu'une violation du principe ne bis in idem et une atteinte injustifiée à la liberté de pensée, de conscience et de religion consacrée par l'article 9 de la Convention. Par arrêt du 30 mai 1990, le Tribunal fédéral a rejeté le pourvoi du requérant. Pour autant que celui-ci invoquait une violation du principe nulla poena sine lege, le Tribunal fédéral a relevé que le texte de la loi fédérale sur la taxe d'exemption du service militaire était parfaitement clair en ce qu'il prévoyait que celui qui n'accomplit pas entièrement ses obligations militaires, sous forme de service personnel, doit s'acquitter de la taxe militaire. Cette taxe a été conçue comme une prestation de remplacement dont le but est de garantir l'application du principe constitutionnel de l'assujettissement de tous les citoyens aux obligations militaires. Le Tribunal fédéral a en outre rejeté l'argumentation du requérant selon laquelle la privation de liberté subie par un objecteur de conscience compensait la prestation personnelle de service militaire imposée à tout citoyen suisse. De l'avis du Tribunal fédéral, la privation de liberté en question ne constituait que la sanction infligée en raison du refus de servir. Pour autant que le requérant invoquait une violation du principe ne bis in idem indiquant que son refus de s'acquitter de ses devoirs militaires comprenait également celui de payer la taxe d'exemption, le Tribunal fédéral a relevé que la condamnation du requérant pour refus de servir réprimait une infraction distincte de celle du refus de s'acquitter de la taxe d'exemption du service militaire qui faisait l'objet de l'affaire portée devant lui. Pour autant que le requérant soutenait que ses condamnations successives pour refus de s'acquitter de ladite taxe seraient incompatibles avec le principe mentionné ci-dessus, le Tribunal fédéral a relevé que le requérant s'était rendu coupable d'un délit successif qui avait été interrompu par tout jugement intervenant entre les actes identiques. Enfin, pour autant que le requérant invoquait l'article 9 de la Convention, le Tribunal fédéral a relevé que cette disposition ne pouvait être invoquée par celui qui s'opposait au versement d'une contribution financière arrêtée aux termes d'un processus démocratique. Le Tribunal a en outre rappelé "que la taxe militaire est un moyen de mettre en pratique le principe de l'assujettissement de tous les citoyens aux obligations militaires et que l'armée ne pouvait s'en passer dans la mesure où elle tend à mettre un frein aux demandes abusives de réforme, de libération de service ou de dispense. Elle est donc considérée comme une pièce essentielle du système d'organisation militaire propre à la Suisse ... tout aussi indispensable pour assurer le fonctionnement du système de milice que pour garantir l'application du principe constitutionnel de l'assujettissement de tous les citoyens aux obligations militaires". GRIEFS 1. Le requérant se plaint que sa condamnation est contraire à l'article 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Il allègue sur ce point que les articles 1 et 4 de la loi fédérale sur la taxe d'exemption du service militaire doivent être interprétés comme excluant les personnes qui, comme lui-même, sont des objecteurs de conscience de l'obligation de s'acquitter de ladite taxe. 2. Le requérant estime en outre que sa condamnation n'a pas été régulière et que la privation de sa liberté n'est pas justifiée aux termes de l'article 5 par. 1 de la Convention. 3. Le requérant soutient en outre que sa condamnation constitue une ingérence injustifiée dans son droit à la liberté de pensée et de conscience et à son droit à la liberté d'expression. Il souligne sur ce point que cette ingérence n'est, ni prévue par la loi, ni nécessaire dans une société démocratique. 4. Enfin, le requérant soutient que sa condamnation est en violation du principe ne bis in idem garanti à l'article 4 du Protocole N° 7 à la Convention, dans la mesure où cette condamnation sanctionne son refus de s'acquitter de ses devoirs militaires, refus qui comprend également celui de payer la taxe d'exemption, pour lequel il a déjà fait l'objet d'une condamnation par le tribunal militaire de la Division I en 1979. De plus, cette condamnation sanctionne sa décision de ne plus payer la taxe militaire, décision pour laquelle il a déjà été condamné à plusieurs reprises auparavant. Il estime dès lors qu'il a été poursuivi et puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été condamné auparavant par les juridictions suisses. EN DROIT 1. Le requérant soutient d'abord que la loi sur la taxe d'exemption du service militaire doit être interprêtée de manière à exclure les objecteurs de conscience de l'obligation de s'acquitter de cette taxe. Il invoque l'article 7 (art. 7) de la Convention qui dispose, en son par. 1er: "Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise." La Commission rappelle qu'il appartient aux autorités nationales et notamment aux tribunaux d'interprêter et d'appliquer le droit interne. La Commission, quant à alle, a pour seule tâche, selon l'article 19 (art. 19) de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties Contractantes. Elle n'est pas compétente pour connaître des allégations relatives à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les juridictions internes, sauf si et dans la mesure où ces prétendues erreurs semblent susceptibles d'avoir entraîné une violation des droits garantis par la Convention. La Commission relève qu'en l'espèce la condamnation du requérant est fondée sur les dispositions de la loi fédérale sur la taxe d'exemption du service militaire, selon laquelle doit s'acquitter de la taxe militaire celui qui n'a pas accompli ses obligations militaires sous forme de service personnel. Aucune apparence de violation du principe de la légalité des délits ne peut être décélée. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 2. Le requérant se plaint également que sa détention n'a pas été conforme à l'article 5 (art. 5) de la Convention. La Commission relève, toutefois, que le requérant a été régulièrement privé de sa liberté "après condamnation par un tribunal compétent", au sens de l'article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) de la Convention. Il s'ensuit qu'aucune apparence de violation ne saurait être décelée sur ce point. Dès lors, cette partie de la requête est également manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 3. Le requérant soutient en outre que sa condamnation constitue une ingérence injustifiée dans l'exercice de son droit à la liberté de pensée et de conscience et dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression. Il invoque les article 9 et 10 (art. 9, 10) de la Convention. La Commission note qu'en l'espèce le requérant soutient avoir refusé de s'acquitter de la taxe militaire pour des raisons de conscience. Sa condamnation est le résultat de ce refus et non de l'expression de ses idées. La Commission estime que, dans ces conditions, aucune ingérence dans l'exercice du droit du requérant à la liberté d'expression ne peut être décélée. Le grief du requérant doit être examiné sous l'angle de l'article 9 (art. 9) de la Convention qui "protège avant tout le domaine des convictions personnelles et des croyances religieuses, ce que l'on appelle parfois le for intérieur" (No 10358/83, déc. 15.12.83, D.R. 37, p. 142). La Commission rappelle que l'article 9 (art. 9) de la Convention doit être lu à la lumière de l'article 4 par. 3 b) (art. 4-3-b) de celle-ci. Il en résulte que la Convention laisse aux Etats Contractants la faculté de ne pas reconnaître un droit à l'objection de conscience et n'accorde pas aux objecteurs de conscience le droit d'être exemptés du service militaire ou d'un service civil de remplacement (No 7705/76, déc. 5.7.77, D.R. 9, p 196; No 10640/83, déc. 9.5.84, D.R. 38, p. 219). Dans la mesure où le système des droits et libertés que les Etats Contractants se sont engagés de respecter aux termes de la Convention ne comprend pas un droit d'être exempté de l'obligation d'effectuer un service militaire pour des raisons de conscience, la Commission n'aperçoit aucun motif permettant de tirer de l'article 9 (art. 9) de la Convention le droit d'être exempté de l'obligation de s'acquitter d'une contribution pécuniaire de remplacement, telle la taxe d'exemption du service militaire, due en lieu et place de la prestation en nature que représente ce service. Dès lors, aucune violation de l'article 9 (art. 9) de la Convention ne peut être décélée en l'espèce. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 4. Le requérant se plaint, enfin, que sa condamnation viole le principe ne bis in idem, garanti à l'article 4 du Protocole No 7 (P7-4). Sur ce point, le requérant soutient d'abord que cette condamnation sanctionne son refus de s'acquitter de ses devoirs militaires, refus qui comprend également celui de payer la taxe d'exemption. Or le requérant a déjà fait l'objet d'une condamnation par le tribunal militaire de la Division I en 1979 pour ce refus. L'article 4 du Protocole No 7 (P7-4) dispose : "Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat" La Commission observe, toutefois, que le requérant a été condamné le 15 novembre 1979 pour refus de servir, alors que la condamnation dont il se plaint sanctionnait son refus de paiement de la taxe militaire. Elle constate que les délits faisant l'objet de ces condamnations n'étaient aucunement identiques. Le fait que les comportements reprochés au requérant et qui ont été sanctionnés dans le cadre des deux procédures aient été tous les deux motivés par son opposition à l'armée n'est pas de nature à rendre identiques les deux infractions. Dès lors, aucune apparence de violation de la disposition invoquée ne peut être décélée sur le point considéré. Le requérant soutient également que la condamnation en cause punit sa décision de ne plus payer la taxe militaire, décision pour laquelle il a déjà été condamné à plusieurs reprises auparavant. Il estime dès lors qu'il a été poursuivi et puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été condamné auparavant par les juridictions suisses. La Commission observe que le comportement punissable du requérant était motivé par sa volonté de ne plus payer la taxe militaire. Toutefois, les condamnations successives de celui-ci ont sanctionné ses refus répétés et distincts de s'acquitter de la taxe militaire de plusieurs années, refus qui constituaient des infractions répétées mais distinctes à la législation relative à la taxe militaire. Aucune atteinte au principe ne bis in idem ne peut, dès lors, être constatée sur ce point. Il s'ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président en exercice de la Première Chambre Première Chambre (M.F. BUQUICCHIO) (E. BUSUTTIL)