SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 30479/96 présentée par Francisco Esteban HERNANDEZ SANCHEZ contre l'Espagne __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 septembre 1996 en présence de Mme G.H. THUNE, Présidente MM. J.-C. GEUS G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ L. LOUCAIDES M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY P. LORENZEN E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA M. VILA AMIGÓ Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 20 novembre 1995 par Francisco Esteban HERNANDEZ SANCHEZ contre l'Espagne et enregistrée le 18 mars 1996 sous le N° de dossier 30479/96 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant est un ressortissant espagnol né 1965 et résidant à Valence. Il est sergent dans l'armée espagnole et avocat au barreau de Valence. Les faits de la cause, tels qu'exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : En novembre 1993, les forces armées espagnoles organisèrent, pour les 19 et 20 du même mois, un défilé militaire à Valence incluant un défilé en l'honneur de la "Vierge des Désemparés" (Virgen de los Desamparados) auquel devait participer le requérant en tant que membre de la compagnie d'honneur de son unité pour le mois en question. Invoquant son droit à la liberté de religion, le requérant exprima le souhait de ne pas participer aux actes strictement religieux. Nonobstant, le requérant y fut contraint. Au cours du défilé en l'honneur de la "Vierge des Désemparés" du 19 novembre 1993, ce dernier demanda l'autorisation de se retirer de sa formation, demande qui lui fut refusée. Le requérant refusa d'obtempérer et abandonna la formation. Le deuxième jour, il ne participa pas aux cérémonies religieuses. 1. Procédures disciplinaires engagées contre le requérant Par décision du chef de la région militaire de Levante du 2 décembre 1993, le requérant se vit infliger une sanction de trente jours d'arrêt à domicile pour faute légère. Par ailleurs, une procédure disciplinaire pour faute grave d'atteinte à la dignité militaire et pour insubordination fut engagée à l'encontre du requérant et s'acheva par l'imposition, le 20 janvier 1994, de deux sanctions disciplinaires respectivement de 60 et 90 jours de mise aux arrêts dans un établissement pénitentiaire militaire. Contre cette sanction, le requérant forma un recours devant le tribunal militaire central enregistré au greffe du tribunal territorial de Valence le 16 février 1996, recours qui est pendant. 2. Procédure pénale engagée contre le requérant En outre et suite à l'attitude du requérant pendant les cérémonies en question, les autorités militaires engagèrent à son encontre une procédure pénale pour délit de désobéissance prévu à l'article 102 par. 1 du Code pénal militaire. Par ordonnance en date du 7 mars 1994, le juge militaire N° 17 de Valence rendit une ordonnance de non-lieu définitif en prenant en considération le motif de l'exercice légitime du droit à la liberté de religion. Le 15 juillet 1994, le tribunal militaire territorial de Madrid confirma cette décision. Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cette décision. Par décision (auto) de la chambre militaire du Tribunal suprême du 21 février 1995, le pourvoi fut déclaré irrecevable au motif que le non-lieu définitif équivalait à une relaxe de sorte que le requérant n'avait plus qualité pour introduire le pourvoi (carecía de legitimación). Contre cette décision, le requérant présenta un recours d'amparo en invoquant le droit à un procès équitable (article 24 par. 1 de la Constitution) et demanda l'adoption d'une mesure provisoire afin de protéger son droit à la liberté de religion (article 16 de la Constitution) dans les procédures engagées à son encontre. Par décision du 3 juillet 1995, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement. La haute juridiction releva qu'en l'absence de condamnation pénale, le requérant ne pouvait faire valoir aucun préjudice. Quant aux sanctions disciplinaires, le tribunal nota que le recours était hors délai quant à la première sanction et prématuré pour les autres. 3. Plaintes pénales déposées par le requérant Dans le contexte des mêmes événements, le requérant déposa le 28 janvier 1994, devant le juge d'instruction de Valence, une plainte pénale à l'encontre de certains militaires pour atteinte à la liberté de religion. Par décision (auto) du 28 février 1994, le juge d'instruction de Valence déclara que les faits dénoncés relevaient de la compétence de la juridiction militaire et déféra l'affaire au juge militaire (juez togado militar) de Valence. Contre cette décision, le requérant interjeta appel. Ultérieurement, la chambre militaire du Tribunal suprême se saisit de l'affaire. Par décision du 7 mai 1994, le magistrat instructeur du Tribunal suprême ordonna le classement de l'affaire en estimant que les faits de la cause n'étaient pas constitutifs d'infraction pénale. Sur appel du requérant, le Tribunal suprême, par décision du 14 juillet 1994, confirma la décision entreprise. GRIEFS Le requérant se plaint en substance que les sanctions disciplinaires prises à son encontre constituent une atteinte au respect de son droit à la liberté de religion. Il se plaint également que le Tribunal constitutionnel n'a pas pris de mesures provisoires afin de protéger son droit au respect de sa liberté de religion. Il invoque l'article 9 de la Convention. Le requérant se plaint aussi qu'il a été privé d'une protection judiciaire effective dans la mesure où les tribunaux espagnols ont classé sans suite ses plaintes pénales. Il invoque les articles 6 et 13 de la Convention. EN DROIT 1. Le requérant se plaint que les sanctions disciplinaires prises à son encontre constituent une atteinte au respect de son droit à la liberté de religion. Il se plaint également que le Tribunal constitutionnel n'a pas pris de mesures provisoires tendant à la protection du respect de son droit à la liberté de religion. Il invoque l'article 9 (art. 9) de la Convention. Dans la mesure où le requérant se plaint que les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre portent atteinte au respect de son droit à la liberté de religion, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits dénoncés par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de la disposition invoquée de la Convention. En effet, la Commission constate que, s'agissant des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre par les autorités militaires, le requérant a présenté un recours devant le tribunal militaire central, enregistré le 16 février 1996, qui se trouve toujours pendant. Or, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, la Commission ne peut être saisie qu'après épuisement des voies de recours internes. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant prématuré, en application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Dans la mesure où le requérant se plaint que le Tribunal constitutionnel n'a pas pris de mesures provisoires afin de protéger son droit à la liberté de religion, la Commission rappelle que le droit de bénéficier de mesures provisoires n'est pas, en tant que tel, garanti par la Convention de sorte que ce grief doit être rejeté pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention en application de son article 27 par. 2 (art. 27-2). 2. Le requérant se plaint encore d'avoir été privé d'une protection judiciaire effective dans la mesure où les tribunaux espagnols ont classé sans suite ses plaintes pénales et n'ont pas ordonné la suspension des sanctions prononcées à son encontre, au mépris des articles 6 et 13 (art. 6, 13) de la Convention. La partie pertinente de l'article 6 (art. 6) de la Convention se lit comme suit : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle." L'article 13 (art. 13) est ainsi libellé : "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles." Dans la mesure où le requérant se plaint du classement par les tribunaux espagnols des plaintes pénales déposées par lui contre plusieurs autorités militaires, la Commission rappelle que le droit conféré par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de voir trancher une accusation pénale et les garanties des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 (art. 6-2, 6-3) ne sont valables que pour l'accusé et non pour la victime de l'infraction pénale alléguée, ou pour quiconque profère une accusation contre autrui (cf. N° 10877/84, déc. 16.5.85, D.R. 43 p. 184). Il s'ensuit que sur ce point, la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de son article 27 par. 2 (art. 27-2). Pour autant que la requête concerne la procédure pénale entamée a son encontre, et qui s'est achevée par une décision de non-lieu, la Commission considère que le requérant ne peut plus se prétendre, au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, victime d'une violation de la Convention (voir, mutatis mutandis, N° 5577-5583/72, déc. 15.12.75, D.R.4 p. 4). Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.-T. SCHOEPFER G.H. THUNE Secrétaire Présidente de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre