SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 30260/96 présentée par l'association « SIVANANDA DE YOGA VEDANTA » contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 16 avril 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY P. LORENZEN E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA A. ARABADJIEV Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 3 novembre 1995 par l'association « SIVANANDA DE YOGA VEDANTA » contre la France et enregistrée le 21 février 1996 sous le N° de dossier 30260/96 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT La requérante est une association sans but lucratif qui prône la pratique et l'enseignement du yoga et de la philosophie hindouiste vedanta. En 1987, elle fit l'objet d'une vérification de comptabilité pour les années 1984 à 1986. Estimant que les cours de yoga dispensés par l'association présentaient un caractère lucratif, les autorités fiscales l'imposèrent au titre de l'impôt sur les sociétés pour ces années. La requérante introduisit un recours devant le tribunal administratif de Paris, arguant qu'elle n'exerçait aucune activité lucrative. A la demande du fisc, cette instance fut élargie à l'imposition au titre de la TVA et de retenue à la source, qui avait été notifiée dans l'intervalle à la requérante. Dans un mémoire du 26 janvier 1990, la requérante demanda qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une demande de reconnaissance du caractère de congrégation religieuse qu'elle avait entretemps introduite auprès du ministre de l'Intérieur. Par jugement du 20 mars 1992, le tribunal rejeta, d'une part, la demande de sursis à statuer au motif que la reconnaissance n'avait aucun effet rétroactif et que la situation du contribuable devait être examinée au moment des exercices d'imposition litigieux. Elle rejeta, d'autre part, la requête en raison du caractère lucratif des activités. La requérante fit appel. Par arrêt du 14 décembre 1993, la cour administrative d'appel rejeta la demande de sursis à statuer et la requête, en se fondant sur des motifs semblables à ceux du tribunal administratif. La requérante introduisit une requête en annulation devant le Conseil d'Etat. Elle fit notamment valoir qu'en refusant de surseoir à statuer et n'ayant pas égard à l'argument selon lequel l'objet religieux de l'association devait l'exonérer de tout assujettissement, la cour avait porté atteinte à diverses dispositions internes et internationales, dont les articles 9 et 14 de la Convention. Par arrêt du 12 avril 1995 notifié le 11 mai 1995, le Conseil d'Etat décida de ne pas admettre le recours de la requérante pour absence de moyens sérieux, au sens de l'article 11 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987. GRIEFS 1. La requérante allègue que son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la TVA, ainsi que le principe de retenue à la source porte atteinte aux droits garantis par les articles 9 et 10 de la Convention, d'autant que les juridictions françaises ont systématiquement analysé de manière négative tous les éléments qui contribuaient à conférer un caractère religieux à ses activités. 2. Elle fait aussi valoir que le Conseil d'Etat n'hésite pas à reconnaître un caractère non lucratif aux activités relevant d'une autre religion, notamment en reconnaissant le caractère non lucratif et désintéressé des activités cultuelles de la religion catholique. Elle soutient, en conséquence, qu'en refusant de reconnaître le caractère non lucratif et désintéressé de ses activités de pratique et d'enseignement du yoga, les autorités françaises lui ont fait subir une discrimination, au mépris des prescriptions de l'article 14 de la Convention. 3. La requérante soutient enfin que l'absence de motivation de la décision de non-admission de leur pourvoi par le Conseil d'Etat constitue une violation de leur droit à un procès équitable, au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention. EN DROIT 1. La requérante se plaint en premier lieu d'une atteinte au droit à la liberté de religion, du fait de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la TVA, ainsi que de l'application du principe de retenue à la source. Elle invoque les articles 9 et 10 (art. 9, 10) de la Convention. a. Dans la mesure où la requérante a apporté des arguments et éléments de preuve de nature à étayer la prétendue atteinte à l'article 10 (art. 10) de la Convention qui protège le droit à la liberté d'expression, il n'apparaît pas qu'elle ait présenté pareil grief devant le Conseil d'Etat. Elle n'a donc pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes en droit français et le grief doit être rejeté sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. b. L'article 9 (art. 9) de la Convention se lit comme suit : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » La Commission constate qu'aux termes de cette disposition, le droit à la liberté de religion comprend notamment le droit à manifester sa religion en public ou en privé par le culte ou par l'accomplissement des rites. Toutefois, la Commission ne saurait lire dans l'article 9 (art. 9) de la Convention un droit à ce que toute activité d'une association qui aurait un caractère religieux ou cultuel soit exonérée de tout impôt. Elle estime que le droit à la liberté de religion n'implique nullement que les églises ou leurs fidèles doivent se voir accorder un statut fiscal différent de celui des autres contribuables (N° 17522/90, déc. 11.1.90, D.R. 72, p. 256). Il s'ensuit que sous ce rapport, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. 2. La requérante allègue par ailleurs que dans la mesure où les autorités françaises reconnaissent un caractère non lucratif aux activités d'associations cultuelles et notamment celles de la religion catholique, le refus de reconnaître le caractère non lucratif et désintéressé de ses activités de pratique et d'enseignement du yoga constitue une discrimination en violation de l'article 14 de la Convention, combiné avec son article 9 (art. 14+9). L'article 14 (art. 14) de la Convention se lit comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » Toutefois, la Commission rappelle que cette disposition n'interdit pas toute distinction de traitement dans l'exercice des droits et libertés reconnus, l'égalité de traitement n'étant violée que si la distinction manque de justification objective et raisonnable (cf. Cour eur. D. H., arrêt Rasmussen c. Danemark du 28 novembre 1984, série A N° 87, pp. 12, 13, par. 29, 35). La Commission est d'avis que l'on ne saurait considérer que la requérante, qui n'avait pas le statut d'association cultuelle, se trouvait dans une situation analogue ou comparable à celle d'organisations cultuelles, telle la religion catholique. Dans ces conditions, aucune discrimination au sens de l'article 14 (art. 14) ne saurait être constatée en l'espèce. Il s'ensuit que ce grief doit également être rejeté comme étant manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 3. La requérante soutient enfin que l'absence de motivation de la décision de non-admission de son pourvoi par le Conseil d'Etat constitue une violation de son droit à un procès équitable, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Cet article dispose notamment : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, (...) » La Commission rappelle que le droit d'accès aux tribunaux consacré par l'article 6 (art. 6) de la Convention peut être soumis à des limitations prenant la forme d'une réglementation par l'Etat. Celui-ci jouit d'une certaine marge d'appréciation, mais les limitations appliquées doivent poursuivre un but légitime, et ne doivent pas restreindre ni réduire l'accès ouvert à un individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même (voir Cour eur. D.H., arrêt Tolstoy Miloslawsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, p. 78-79, par. 59). La Commission constate qu'en l'espèce ladite commission, saisie du pourvoi des requérants, a motivé sa non-admission par la considération qu'aucun des moyens soulevés ne présentait de caractère sérieux. Elle relève que la loi du 31 décembre 1987 dispose, en son article 11, que l'admission des pourvois en cassation « est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ». La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle aucun droit de faire appel d'un jugement ne figure au nombre des droits et libertés reconnus par la Convention. Lorsque la loi nationale subordonne la recevabilité d'un recours à une décision par laquelle la juridiction compétente déclare que le recours soulève une question de droit très importante et présente des chances de succès, il peut suffire que cette juridiction se borne à citer la disposition légale prévoyant cette procédure (cf. notamment N° 26561/95, déc. 25.2.97, D.R. 88, p. 72 ; N° 18441/91, déc. 2.3.94, non publiée ; N° 8769/79, déc. 16.7.81, D.R. 25, p. 242). La Commission relève en l'espèce que la décision de rejet de la commission d'admission était fondée sur l'absence de moyens sérieux, soit l'un des deux motifs prévus par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987. Dans ces conditions, la Commission ne relève aucune apparence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit qu'à supposer même que l'article 6 (art. 6) de la Convention soit applicable à la procédure en cause, cet aspect de la requête est, lui aussi, manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS Secrétaire Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre