Interdire les symboles religieux violerait les instruments internationaux de protection de la liberté de religion et de croyance


Vienne, 17 décembre 2003 La Fédération Internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme (FIH) nourrit des inquiétudes à propos de la proposition d’une commission présidentielle française de voter une loi interdisant les symboles religieux dans les écoles et d’autres institutions publiques car elle violerait les engagements internationaux de la France à protéger la liberté de religion.

Le 11 décembre, une commission de réflexion sur l’application de la laïcité, mise en place par Jacques Chirac, a rendu ses conclusions sur la laïcité en France. La commission recommande, entre autres choses, d’adopter une loi sur la laïcité et d’y inclure une disposition disant que « sont interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique. Les termes et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. » (1)Le président Chirac a souscrit aux propositions de la commission dans son discours du 17 décembre.

La recommandation de la commission d’interdire le voile et d’autres symboles religieux dans les écoles a rapidement déclenché une forte opposition de la part des Eglises chrétiennes françaises – catholique, protestantes et orthodoxes – ainsi que des communautés musulmanes et juives.

La stricte séparation de l’Etat et des religions est la politique officielle de l’Etat français depuis 1905.

La FIH pense qu’une telle interdiction entraînerait l’Etat français dans une collision avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, dans le domaine de la liberté de religion et de croyance, car le port de tenues à caractère religieux peut faire intégralement partie de la liberté de manifester sa religion. Il ne revient pas à l’Etat de déterminer quelles manifestations sont légitimes aussi longtemps qu’elles ne violent pas les droits humains fondamentaux d’autres personnes ou qu’elles ne mettent pas en danger la sécurité publique, la santé ou les bonnes mœurs, telles que définies par le droit international (Voir ci-dessous).

Plus précisément, la question qui se pose est de savoir comment intégrer au mieux les musulmans dans la société française et prendre une position ferme à l’encontre de l’activisme qui irait croissant au sein de la communauté musulmane française. La FIH pense toutefois que l’adoption d’une législation interdisant le voile dans les institutions publiques ne serait pas une mesure adéquate pour promouvoir l’intégration et combattre l’activisme musulman mais pourrait, par contre, être contre-productive, accroître l’aliénation et la marginalisation des musulmans vivant en France.

En outre, alors que les promoteurs de l’interdiction du voile soulignent que le port du voile est tout simplement un symbole fondamentaliste de soumission des femmes musulmanes et un signe de l’oppression qu’elles doivent subir, beaucoup de musulmanes considèrent que le port du voile est un choix profondément personnel et un signe de leurs convictions religieuses n’ayant rien à voir avec le fondamentalisme islamique. Une interdiction du voile stigmatiserait automatiquement comme fondamentalistes, ce qui serait une erreur, toutes les musulmanes portant le voile.

En outre, en rendant impossible l’accès aux écoles, aux universités et à d’autres institutions publiques aux filles et aux femmes portant le voile, on pourrait entraîner leur exclusion de ces lieux d’enseignement.

La FIH est pour l’égalité de toutes les religions et philosophies. Or, l’intensité avec laquelle l’Etat français promeut la laïcité est une source d’inquiétude pour la FIH car elle apparaît être une forme de promotion d’une philosophie spécifique et semble contredire le principe de neutralité auquel l’Etat se dit être attaché.

La question du voile en France couve depuis 1989 quand deux jeunes musulmanes de Paris ont refusé de respecter l’ordre de leur école de retirer leur voile. En vertu d’une décision rendue en appel par le tribunal administratif, le Conseil d’Etat, le voile et d’autres signes d’appartenance religieuse sont autorisés dans les écoles publiques aussi longtemps qu’ils ne sont pas « ostentatoires ». La responsabilité de l’interprétation de ce jugement incombe à chaque école et à chaque district scolaire. Or, le débat s’est ranimé après les attaques terroristes du 11 septembre et a été nourri par les craintes d’un activisme croissant chez les musulmans vivant en France. La minorité musulmane de France compte quatre à cinq millions de personnes.

Normes internationales en matière de droits de l’homme

Tous les instruments internationaux de droits de l’homme protègent le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi que le droit de la manifester et de la pratiquer. Il est notamment garanti par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Selon cet instrument, les limitations à ce droit ne sont acceptables que si « elles sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui ». Aucune dérogation à l’article 18 n’est autorisée, même en période d’urgence publique. Dans son commentaire de cette disposition, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a indiqué que la liberté de manifester sa religion ou sa croyance, telle quelle est protégée par le Pacte, couvre un grand nombre d’activités, y compris le port de vêtements distinctifs. Le comité de l’ ONU a également souligné que les restrictions à ce droit ne peuvent avoir un caractère discriminatoire, qu’elles doivent se rapporter directement et être proportionnées au but poursuivi(2).

L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme reprend le contenu de l’article 18 du Pacte et les mêmes conditions nécessaires à des limitations acceptables, en ajoutant toutefois que toutes les restrictions doivent être « nécessaires dans une société démocratique ». D’après la Cour européenne des droits de l’homme, pour pourvoir satisfaire à cette condition, toute restriction doit correspondre à un « besoin social pressant »et doit être « proportionnée au but légitime poursuivi (3)» . La Cour a aussi conclu que le droit à la liberté de religion, telle qu’il est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, « exclut toute discrétion de la part de l’Etat de déterminer si des croyances religieuses ou les moyens utilisés pour exprimer ces croyances sont légitimes. »(4)

Dans l’Acte Final d’Helsinki de 1975, les états membres de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) se sont engagés à « respecter la liberté pour les individus de professer et de pratiquer, seuls ou en commun, leur religion ou leur croyance en agissant en accord avec leur propre conscience. » (5)

Ils ont ensuite réaffirmé cet engagement à maintes autres occasions. Dans le Document Final de Vienne de 1989, les états-membres de l’OSCE se sont engagés à prendre des mesures effectives pour empêcher et éliminer toute discrimination fondée sur la religion, et à promouvoir un climat de tolérance et de respect mutuels entre les croyants de différentes communautés. (6)


Pour plus d’information, veuillez prendre contact avec
Aaron Rhodes, directeur exécutif, 43 1 408 8822 ou 43 676 6356612
Krassimir Kanev, président du Comité bulgare d’Helsinki, 359 98 528753
Willy Fautré, président de Droits de l’Homme sans Frontières, Belgique 32 2 3456145 ou 32 478 203517
Henriette Schroeder, Bureau de presse, 43 1 408 8822, 43 676 7254829

____________________________________________________________________________________
1) « Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuses les signes discrets que sont par exemple médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatimah, ou petits Coran. »
2) UN Human Rights Committee, General Comment 22 -- The right to freedom of thought, conscience and religion (Art.18), July 30, 1993.
3) European Court of Human Rights, Serif v. Greece, December 12, 1999 (00038178/97).
4) European Court of Human Rights, Manoussakis and others v. Greece, September 26, 1999 (00018748/91).
5) “Declaration on Principles Guiding Relations Between Participating States” of Final Act of the Conference on Security and Cooperation in Europe, 1975, (Helsinki 1975), principle VII, par.3.
6) “Questions Relating to Security in Europe” of Vienna 1989, par. 16.1 and 16.2.