CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE
1958
D O U Z I È M E L É G I S
L A T U R E
Enregistré
à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 janvier 2004.
PROJET DE LOI
relatif à l’application du
principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées
publics,
(Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et
de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une
commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du
Règlement.)
PRÉSENTÉ AU NOM DE M. JEAN-PIERRE
RAFFARIN, Premier ministre,
PAR M. LUC FERRY, ministre de la jeunesse, de
l’éducation nationale et de la recherche.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Inscrit à l’article 1er de la Constitution, le principe de laïcité, qui
exprime les valeurs de respect, de dialogue
et de tolérance, est au cur de l’identité républicaine de la France.
La laïcité garantit la liberté de conscience. Protégeant la liberté de
croire ou de ne pas croire, elle assure à
chacun la possibilité d’exprimer et de vivre paisiblement sa foi, de pratiquer sa religion.
Ouverte, apaisée et généreuse, elle recueille, après bientôt un siècle d’existence, l’adhésion
de toutes les confessions et de tous les
courants de pensée.
Pourtant, malgré la force de cet acquis républicain, l’application du
principe de laïcité se heurte à des
difficultés nouvelles et grandissantes qui ont suscité un large débat ces derniers mois dans la société française. C’est en
particulier le cas dans certains services
publics, comme l’école ou l’hôpital.
A cet
égard, la réaffirmation du principe de laïcité à l’école, lieu privilégié d’acquisition et de transmission de nos valeurs communes, instrument par excellence d’enracinement de l’idée républicaine,
paraît aujourd’hui indispensable. L’école
doit en effet être préservée afin d’y assurer légalité des chances, légalité devant l’acquisition des valeurs et du savoir,
légalité entre les filles et les garçons, la mixité de tous les enseignements, et notamment de l’éducation physique
et sportive. Il ne s’agit pas de déplacer les frontières de la laïcité. Il
ne s’agit pas non plus de faire de l’école
un lieu d’uniformité et d’anonymat, qui ignorerait le fait religieux. Il
s’agit de permettre aux professeurs et aux chefs d’établissements d’exercer sereinement leur mission avec l’affirmation
dune règle claire qui est dans nos usages et
dans nos pratiques depuis longtemps. Si les élèves des écoles, collèges et lycées publics sont naturellement libres de
vivre leur foi, ce doit être dans le
respect de la laïcité de l’école de la
République. C’est bien la neutralité de l’école qui assure le respect de la liberté de conscience des élèves, le respect
égal de toutes les convictions.
C’est la raison pour laquelle, à la suite des travaux menés par la commission
présidée par Monsieur Bernard Stasi, des
contributions de la mission de l’Assemblée nationale, des partis politiques, des autorités religieuses, des représentants
des grands courants de pensée, le Président de la République a souhaité, à l’occasion
de son discours du 17 décembre 2003, que
soit clairement interdit, dans les écoles,
les collèges et les lycées publics, le port de signes et de tenues qui manifestent ostensiblement l’appartenance
religieuse.
Tel est le sens du présent projet de loi, qui crée au sein du code de l’éducation
un article L. 141-5-1 interdisant dans les écoles publiques les signes
religieux ostensibles, c’est-à-dire les signes et tenues dont le port
conduit à se faire reconnaître immédiatement par son appartenance
religieuse. Ces signes -le voile islamique,
quel que soit le nom q’uon lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive- n’ont pas leur place dans
les enceintes des écoles publiques. En revanche, les signes discrets d’appartenance
religieuse resteront naturellement
possibles.
La loi s’applique dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Elle
ne concerne donc pas les établissements d’enseignement privés, q’uils aient ou
non passé avec l’Etat un contrat d’association
à l’enseignement public. Elle s’applique aux
élèves, sachant que les personnels de l’éducation nationale sont dores et déjà soumis au principe de stricte neutralité que doit
respecter tout agent public. L’interdiction
quelle institue vaut évidemment pour toute la période où les élèves se trouvent placés sous la responsabilité de l’école,
du collège ou du lycée, y compris pour
les activités se déroulant en dehors de l’enceinte de l’établissement (sorties scolaires, cours d’éducation physique et
sportive, etc.).
La loi prendra effet à compter de la rentrée scolaire suivant sa
publication. Ce délai permettra de procéder
à un important travail d’explication, d’échange et de médiation,
notamment avec les autorités religieuses de notre pays. Les collèges et les lycées publics le mettront également à profit
pour adapter leur règlement intérieur
: même si la loi est d’application directe, il est souhaitable, dans un
souci de pédagogie, que ses
dispositions soient transcrites dans l’acte qui rassemble les règles applicables à la vie interne de l’établissement.
La mise en oeuvre de la loi devra également être assurée en usant du
dialogue et de la concertation, et en
recourant à une démarche fondée sur l’explication et la persuasion, soucieuse de faire partager aux élèves les valeurs de l’école républicaine.
Les manquements à l’interdiction fixée par la loi seront passibles de sanctions, comme tout manquement aux obligations des
élèves. Conformément aux principes
qui régissent la procédure disciplinaire, toute sanction sera proportionnée à
la gravité du manquement.
La loi s’appliquera aux établissements scolaires français à l’étranger dans
les conditions fixées par décret en
Conseil d’Etat, compte tenu de leur situation particulière et des accords conclus avec des Etats étrangers.
Elle a vocation à s’appliquer à l’outre-mer dans des conditions qui
dépendent de la répartition des compétences
entre l’Etat et les collectivités concernées.
La loi s’appliquera de plein droit aux départements et régions d’outre-mer,
conformément au principe d’identité législative
posé par l’article 73 de la Constitution.
Elle s’appliquera également, dans les mêmes conditions, à Saint-Pierre-et-Miquelon,
en vertu de la loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel.
A Wallis et Futuna et à Mayotte, l’Etat exerce la compétence en matière d’enseignement,
et ces deux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution sont soumises au principe de
spécialité législative : il y a donc lieu de prévoir une mention expresse d’application de la loi.
En Nouvelle-Calédonie, la loi s’appliquera dans les établissements publics d’enseignement relevant provisoirement de la
compétence de l’Etat en application du III de l’article 21 de la loi organique
n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
En Polynésie française, en revanche, la loi ne pourra pas s’appliquer dès
lors que les établissements quelle
vise relèvent de la compétence des autorités
territoriales en vertu du statut d’autonomie de
cette collectivité d’outre-mer.
Ce texte s’inscrit dans le droit fil de l’équilibre qui s’est construit
patiemment depuis des décennies dans notre pays autour du
principe de laïcité. Il ne s’agit pas, par
ce projet de loi, de refonder la laïcité, mais de permettre, en rappelant les principes et les valeurs de l’école, de la faire
vivre dans la fidélité aux idéaux de la République.
PROJET DE
LOI
Le
Premier ministre,
Sur le rapport du ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de
la recherche,
Vu l’article
39 de la Constitution,
Décrète:
Le présent projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité
dans les écoles, collèges et lycées publics, délibéré en
Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat,
sera présenté à l’Assemblée nationale par le ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, qui
est chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.
Article 1er
Il est inséré dans le code de l’éducation, après l’article L. 141-5, un
article L. 141-5-1 ainsi rédigé:
« Art. L. 141-5-1.- Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de
signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une
appartenance religieuse est interdit. »
Article 2 I.- La
présente loi est applicable:
1° Dans les Iles Wallis et Futuna ;
2° Dans la collectivité départementale de Mayotte ;
3° En Nouvelle-Calédonie, dans les établissements publics d’enseignement du second degré relevant de la compétence de l’Etat en
vertu du III de l’article 21 de la loi
organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
II.- Par voie de conséquence du I ci-dessus, le code de l’éducation est
modifié comme suit:
1° Au premier alinéa de l’article L. 161-1, les termes : « L. 141-4,
L. 141-6 » sont remplacés par les termes : «
L. 141-4, L. 141-5-1, L. 141-6 » ;
2° Au
premier alinéa de l’article L. 162-1, les termes : « L. 141-4 à L. 1416 » sont remplacés par les termes : « L. 141-4, L. 141-5, L. 141-5-1,
L. 141-6 » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 163-1, les termes : « L. 141-4 à
L. 1416 » sont remplacés par les termes
: « L. 141-4, L. 141-5, L. 141-6 » ;
4° L’article L. 164-1 est ainsi modifié:
a) Dans le
premier alinéa, les termes : « L. 141-4 à L. 141-6 » sont remplacés par les termes : « L.
141-4, L. 141-5, L. 141-6 ».
b) Il est
ajouté un deuxième alinéa ainsi rédigé:
« L’article L. 141-5-1 est applicable
aux établissements
publics d’enseignement du second
degré mentionnés au III de l’article 21 de la loi organique n° 99-209 du
19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qui relèvent de la compétence de l’Etat. »
III.- Dans le texte de l’article L. 451-1 du code de l’éducation, il est
inséré, après la mention de l’article L.
132-1, la mention de l’article L. 141-5-1.
Article 3
Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur à compter de la rentrée
de l’année scolaire qui suit sa publication.
Fait à Paris, le 28 janvier 2004.
Signé : JEAN-PIERRE RAFFARIN
Par le Premier ministre : Le
ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche
Signé LUC
FERRY