[CELEX] [ES] [DA] [DE] [EL] [EN] [FR] [IT] [NL] [PT] [FI] [SV] 61996J0249 Arrt de la Cour du 17 fŽvrier 1998. Lisa Jacqueline Grant contre South-West Trains Ltd. Demande de dŽcision prŽjudicielle: Industrial Tribunal, Southampton - Royaume-Uni. EgalitŽ de traitement entre hommes et femmes - Refus d'une rŽduction sur le prix des transports ˆ des concubins de mme sexe. Affaire C-249/96. Recueil de Jurisprudence 1998 page I-0621 1 Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs fŽminins - ƒgalitŽ de rŽmunŽration - Article 119 du traitŽ - Directive 75/117 - PortŽe - Discrimination fondŽe sur l'orientation sexuelle - Exclusion (TraitŽ CE, art. 119; directive du Conseil 75/117) 2 Droit communautaire - Principes - Droits fondamentaux - Base du contr™le de la lŽgalitŽ des actes communautaires - Effets des droits fondamentaux sur le champ d'application des dispositions du traitŽ - Absence 1 Le refus par un employeur d'octroyer une rŽduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de mme sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable, lorsqu'une telle rŽduction est accordŽe en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposŽ, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage, ne constitue pas une discrimination prohibŽe par l'article 119 du traitŽ ou par la directive 75/117, concernant le rapprochement des lŽgislations des ƒtats membres relatives ˆ l'application du principe de l'ŽgalitŽ des rŽmunŽrations entre les travailleurs masculins et les travailleurs fŽminins. D'une part, en effet, la condition prŽvue pour l'octroi de cette rŽduction ne saurait tre considŽrŽe comme constituant une discrimination directement fondŽe sur le sexe, ds lors qu'elle s'applique de la mme manire aux travailleurs de sexe fŽminin qu'ˆ ceux de sexe masculin, les rŽductions Žtant refusŽes ˆ un travailleur masculin s'il vit avec une personne du mme sexe de la mme manire qu'elles sont refusŽes ˆ un travailleur fŽminin s'il vit avec une personne du mme sexe. D'autre part, en l'Žtat actuel du droit au sein de la CommunautŽ, les relations stables entre deux personnes du mme sexe ne sont pas assimilŽes aux relations entre personnes mariŽes ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposŽ, et par consŽquent, un employeur n'est pas tenu par le droit communautaire d'assimiler la situation d'une personne qui a une relation stable avec un partenaire de mme sexe ˆ celle d'une personne qui est mariŽe ou qui a une relation stable hors mariage avec un partenaire de sexe opposŽ. Il ne peut appartenir qu'au lŽgislateur d'adopter, le cas ŽchŽant, des mesures susceptibles d'affecter cette situation. 2 Si le respect des droits fondamentaux qui font partie intŽgrante des principes gŽnŽraux du droit communautaire constitue une condition de la lŽgalitŽ des actes communautaires, ces droits ne peuvent en eux-mmes avoir pour effet d'Žlargir le champ d'application des dispositions du traitŽ au-delˆ des compŽtences de la CommunautŽ. S'agissant du pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui figure au nombre des instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme dont la Cour tient compte pour l'application des principes gŽnŽraux du droit communautaire, une observation, dŽpourvue de valeur juridique contraignante et de motivation particulire, du ComitŽ des droits de l'homme instituŽ conformŽment ˆ son article 28, selon laquelle la rŽfŽrence au ÇsexeÈ au paragraphe 1 de son article 2 et ˆ son article 26 doit tre considŽrŽe comme couvrant les prŽfŽrences sexuelles, ne saurait, en tout Žtat de cause, amener la Cour ˆ Žlargir la portŽe de l'article 119 du traitŽ. La portŽe de cet article, comme celle de toute disposition de droit communautaire, ne peut tre dŽterminŽe qu'en tenant compte de son libellŽ et de son objectif, ainsi que de sa place dans le systme du traitŽ et du contexte juridique dans lequel cette disposition s'insre. Dans l'affaire C-249/96, ayant pour objet une demande adressŽe ˆ la Cour, en application de l'article 177 du traitŽ CE, par l'Industrial Tribunal, Southampton (Royaume-Uni), et tendant ˆ obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre Lisa Jacqueline Grant et South-West Trains Ltd, une dŽcision ˆ titre prŽjudiciel sur l'interprŽtation de l'article 119 du traitŽ CE, de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 fŽvrier 1975, concernant le rapprochement des lŽgislations des ƒtats membres relatives ˆ l'application du principe de l'ŽgalitŽ des rŽmunŽrations entre les travailleurs masculins et les travailleurs fŽminins (JO L 45, p. 19), et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 fŽvrier 1976, relative ˆ la mise en oeuvre du principe de l'ŽgalitŽ de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accs ˆ l'emploi, ˆ la formation et ˆ la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), LA COUR, composŽe de MM. G. C. Rodr’guez Iglesias, prŽsident, C. Gulmann, H. Ragnemalm, M. Wathelet, prŽsidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet (rapporteur), G. Hirsch, P. Jann et L. Sev—n, juges, avocat gŽnŽral: M. M. B. Elmer, greffier: Mme L. Hewlett, administrateur, considŽrant les observations Žcrites prŽsentŽes: - pour Mme Grant, par Mme Cherie Booth, QC, M. Peter Duffy et Mme Marie Demetriou, barristers, - pour South-West Trains Ltd, par MM. Nicholas Underhill, QC, et Murray Shanks, barrister, - pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualitŽ d'agent, assistŽ de MM. Stephen Richards et David Anderson, barristers, - pour le gouvernement franais, par Mmes Catherine de Salins, sous-directeur ˆ la direction des affaires juridiques du ministre des Affaires Žtrangres, et Anne de Bourgoing, chargŽ de mission ˆ la mme direction, en qualitŽ d'agents, - pour la Commission des CommunautŽs europŽennes, par M. Christopher Docksey, Mmes Marie Wolfcarius et Carmel O'Reilly, membres du service juridique, en qualitŽ d'agents, vu le rapport d'audience, ayant entendu les observations orales de Mme Grant, reprŽsentŽe par Mme Cherie Booth, M. Peter Duffy et Mme Marie Demetriou, de South-West Trains Ltd, reprŽsentŽe par MM. Nicholas Underhill et Murray Shanks, du gouvernement du Royaume-Uni, reprŽsentŽ par MM. John E. Collins, David Anderson et Patrick Elias, QC, et de la Commission, reprŽsentŽe par Mmes Carmel O'Reilly et Marie Wolfcarius, ˆ l'audience du 9 juillet 1997, ayant entendu l'avocat gŽnŽral en ses conclusions ˆ l'audience du 30 septembre 1997, rend le prŽsent Arrt 1 Par jugement du 19 juillet 1996, parvenu ˆ la Cour le 22 juillet suivant, l'Industrial Tribunal, Southampton, a posŽ, en vertu de l'article 177 du traitŽ CE, six questions prŽjudicielles relatives ˆ l'interprŽtation de l'article 119 du mme traitŽ, de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 fŽvrier 1975, concernant le rapprochement des lŽgislations des ƒtats membres relatives ˆ l'application du principe de l'ŽgalitŽ des rŽmunŽrations entre les travailleurs masculins et les travailleurs fŽminins (JO L 45, p. 19), et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 fŽvrier 1976, relative ˆ la mise en oeuvre du principe de l'ŽgalitŽ de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accs ˆ l'emploi, ˆ la formation et ˆ la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40). 2 Ces questions ont ŽtŽ soulevŽes dans le cadre d'un litige opposant Mme Grant ˆ son employeur, South-West Trains Ltd (ci-aprs ÇSWTÈ), au sujet du refus d'attribution par ce dernier de rŽductions sur le prix des transports au partenaire de sexe fŽminin de Mme Grant. 3 Mme Grant est employŽe de SWT, compagnie de chemin de fer de la rŽgion de Southampton. 4 L'article 18 de son contrat de travail, intitulŽ ÇAvantages accordŽs dans les transportsÈ, stipule: ÇVous bŽnŽficierez de la gratuitŽ et des rŽductions sur le prix des transports applicables aux agents de votre catŽgorie. Votre conjoint et les personnes ˆ votre charge bŽnŽficieront Žgalement de rŽductions en matire de transport. Les rŽductions en matire de transport sont accordŽes ˆ la discrŽtion de (l'employeur) et seront supprimŽes en cas d'abusÈ. 5 A l'Žpoque des faits litigieux, le rglement pris par l'employeur pour l'application de ces stipulations (Staff Travel Facilities Privilege Ticket Regulations) prŽvoyait, ˆ son article 8 (ÇconjointÈ): ÇLes rŽductions sur le prix des transports sont accordŽes ˆ tout agent mariŽ ... pour son conjoint lŽgitime sauf si ce dernier est lŽgalement sŽparŽ du travailleur salariŽ. ... Les rŽductions sur le prix des transports sont accordŽes pour le `common law opposite sex spouse' (expression habituellement utilisŽe pour dŽsigner le concubin de sexe opposŽ) de l'agent ... sur prŽsentation d'une dŽclaration solennelle qu'une relation significative a existŽ depuis deux ans ou plus...È. 6 Ce rglement dŽfinissait, en outre, les conditions dans lesquelles les rŽductions sur le prix des transports pouvaient tre accordŽes au travailleur en activitŽ (articles 1er ˆ 4), au travailleur ayant cessŽ, de manire provisoire ou dŽfinitive, son activitŽ (articles 5 ˆ 7), ˆ l'Žpoux survivant du travailleur (article 9), aux enfants du travailleur (articles 10 et 11), ainsi qu'aux personnes de sa famille qui Žtaient ˆ sa charge (article 12). 7 Sur la base de ces dispositions, le 9 janvier 1995, Mme Grant a demandŽ ˆ bŽnŽficier de rŽductions sur le prix des transports pour le partenaire de sexe fŽminin avec lequel elle dŽclarait avoir Çune relation significativeÈ depuis plus de deux ans. 8 SWT a refusŽ d'octroyer l'avantage sollicitŽ au motif que, s'agissant des personnes non mariŽes, les rŽductions sur le prix des transports ne pouvaient tre accordŽes que pour un partenaire de sexe opposŽ. 9 Mme Grant a alors introduit un recours ˆ l'encontre de SWT devant l'Industrial Tribunal, Southampton, en soutenant que le refus qui lui Žtait opposŽ constituait une discrimination fondŽe sur le sexe, contraire ˆ l'Equal Pay Act 1970 (loi relative ˆ l'ŽgalitŽ de rŽmunŽration), ˆ l'article 119 du traitŽ et/ou ˆ la directive 76/207. Elle a fait valoir, en particulier, que son prŽdŽcesseur dans le poste, un homme qui avait dŽclarŽ avoir une relation significative avec une femme depuis plus de deux ans, avait bŽnŽficiŽ des avantages qui lui Žtaient refusŽs. 10 L'Industrial Tribunal, Southampton, a estimŽ que la difficultŽ ˆ laquelle il se trouvait confrontŽ Žtait de savoir si le refus d'accorder les avantages litigieux, fondŽ sur l'orientation sexuelle de l'employŽ, Žtait une Çdiscrimination fondŽe sur le sexeÈ, au sens de l'article 119 du traitŽ et des directives relatives ˆ l'ŽgalitŽ de traitement entre hommes et femmes. Il a relevŽ que, si certaines juridictions du Royaume-Uni avaient rendu des dŽcisions rŽpondant de manire nŽgative ˆ cette question, en revanche, l'arrt de la Cour du 30 avril 1996, P./S. (C-13/94, Rec. p. I-2143), accrŽditait Çde manire convaincante, l'idŽe que la discrimination fondŽe sur l'orientation sexuelle [Žtait] illŽgaleÈ. 11 C'est pour ces motifs que le juge national a posŽ ˆ la Cour les questions prŽjudicielles suivantes: Ç1) Est-il (sous rŽserve du point 6 ci-aprs) contraire au principe de l'ŽgalitŽ des rŽmunŽrations entre les travailleurs masculins et les travailleurs fŽminins, Žtabli par l'article 119 du traitŽ instituant la CommunautŽ europŽenne et par l'article 1er de la directive 75/117 du Conseil, de refuser ˆ un employŽ des rŽductions sur le prix des transports au bŽnŽfice d'un partenaire du mme sexe qui cohabite sans tre mariŽ alors que des rŽductions de cet ordre sont accordŽes au bŽnŽfice des conjoints des employŽs de la mme catŽgorie ou de leurs partenaires de sexe opposŽ qui cohabitent sans tre mariŽs? 2) La `discrimination fondŽe sur le sexe', visŽe ˆ l'article 119, englobe-t-elle la discrimination fondŽe sur l'orientation sexuelle de l'employŽ? 3) La `discrimination fondŽe sur le sexe', visŽe ˆ l'article 119, englobe-t-elle la discrimination fondŽe sur le sexe du partenaire de cet employŽ? 4) Si la premire question appelle une rŽponse affirmative, l'employŽ qui se voit refuser des rŽductions de cet ordre est-il nanti d'un droit communautaire qu'il peut directement invoquer contre son employeur? 5) Un refus de cet ordre heurte-t-il les dispositions de la directive 76/207 du Conseil? 6) Un employeur est-il admis ˆ justifier un refus de cet ordre en dŽmontrant (a) que les rŽductions en question visent ˆ avantager les partenaires mariŽs ou les partenaires qui sont dans une situation Žquivalente aux partenaires mariŽs et (b) que la sociŽtŽ n'a traditionnellement pas assimilŽ au mariage les relations entre des partenaires du mme sexe qui cohabitent et ne les y assimile en gŽnŽral pas, plut™t qu'en invoquant une raison Žconomique ou d'organisation en rapport avec l'emploi en question?È 12 Compte tenu des liens Žtroits qui existent entre ces six questions, il y a lieu de les examiner ensemble. 13 Il convient de rappeler, ˆ titre liminaire, que la Cour a dŽjˆ jugŽ que des rŽductions sur le prix des transports accordŽes par un employeur ˆ ses anciens salariŽs, leur conjoint ou les personnes ˆ leur charge, en raison de l'emploi de ces salariŽs, Žtaient des ŽlŽments de ÇrŽmunŽrationÈ au sens de l'article 119 du traitŽ (voir, en ce sens, arrt du 9 fŽvrier 1982, Garland, 12/81, Rec. p. 359, point 9). 14 En l'occurrence, il est constant qu'une rŽduction sur le prix des transports accordŽe par un employeur, sur la base du contrat de travail, en faveur du conjoint ou de la personne, de sexe opposŽ, avec laquelle le travailleur entretient une relation stable hors mariage, relve de l'article 119 du traitŽ. Un tel avantage ne relve donc pas de la directive 76/207, mentionnŽe dans la cinquime question posŽe par la juridiction de renvoi (voir arrt du 13 fŽvrier 1996, Gillespie e.a., C-342/93, Rec. p. I-475, point 24). 15 Il ressort du libellŽ des autres questions, comme des motifs du jugement de renvoi, que le juge national cherche ˆ savoir si le refus par un employeur d'octroyer une rŽduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de mme sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable constitue une discrimination prohibŽe par l'article 119 du traitŽ et par la directive 75/117, lorsqu'une telle rŽduction est accordŽe en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposŽ, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage. 16 Mme Grant estime, tout d'abord, qu'un tel refus constitue une discrimination directement fondŽe sur le sexe. Elle fait valoir que son employeur aurait pris une dŽcision diffŽrente si les avantages en cause dans le litige au principal avaient ŽtŽ rŽclamŽs par un homme vivant avec une femme et non par une femme vivant avec une femme. 17 A cet Žgard, Mme Grant soutient que le simple fait que le travailleur masculin qui a occupŽ son poste auparavant ait obtenu des rŽductions sur le prix des transports pour sa partenaire de sexe fŽminin, sans tre mariŽ avec celle-ci, suffit ˆ identifier une discrimination directe fondŽe sur le sexe. Selon elle, si un travailleur de sexe fŽminin ne bŽnŽficie pas des mmes avantages qu'un travailleur de sexe masculin, toutes choses Žtant Žgales par ailleurs, il est victime d'une discrimination fondŽe sur le sexe (approche dite du Çcritre de l'ŽlŽment distinctif uniqueÈ - Çbut for testÈ). 18 Mme Grant soutient, ensuite, qu'un tel refus constitue une discrimination fondŽe sur l'orientation sexuelle, incluse dans la notion de Çdiscrimination fondŽe sur le sexeÈ visŽe par l'article 119 du traitŽ. Selon elle, les diffŽrences de traitement fondŽes sur l'orientation sexuelle trouvent leur origine dans les prŽjugŽs relatifs au comportement sexuel ou affectif des personnes d'un sexe donnŽ et sont fondŽes, en rŽalitŽ, sur le sexe de ces personnes. Elle ajoute qu'une telle interprŽtation dŽcoule de l'arrt P./S., prŽcitŽ, et rŽpond tant aux rŽsolutions et recommandations adoptŽes par les institutions communautaires qu'ˆ l'Žvolution des normes internationales en matire de droits de l'homme et des normes nationales en matire d'ŽgalitŽ de traitement. 19 Enfin, Mme Grant fait valoir que le refus qui lui a ŽtŽ opposŽ n'est pas objectivement justifiŽ. 20 SWT ainsi que les gouvernements franais et du Royaume-Uni estiment que le refus d'un avantage tel que celui en cause dans le litige au principal n'est pas contraire ˆ l'article 119 du traitŽ. Ils font valoir, tout d'abord, que l'arrt P./S., prŽcitŽ, limitŽ au cas des conversions sexuelles, se borne ˆ assimiler les discriminations fondŽes sur le changement de sexe d'une personne aux discriminations fondŽes sur l'appartenance d'une personne ˆ un sexe dŽterminŽ. 21 Ils soutiennent, ensuite, que la diffŽrence de traitement dont Mme Grant se plaint n'est pas fondŽe sur son orientation ou sa tendance sexuelle mais sur le fait qu'elle ne remplit pas les conditions fixŽes par le rglement de l'entreprise. 22 Enfin, selon eux, les discriminations fondŽes sur l'orientation sexuelle ne sont pas des Çdiscriminations fondŽes sur le sexeÈ, au sens de l'article 119 du traitŽ ou de la directive 75/117. Ils invoquent notamment, ˆ cet Žgard, le libellŽ et les objectifs de cet article, l'absence de consensus entre les ƒtats membres sur l'assimilation des relations stables entre personnes de mme sexe aux relations stables entre personnes de sexe opposŽ, l'absence de protection de ces relations au titre des articles 8 ou 12 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertŽs fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-aprs la ÇconventionÈ) ainsi que l'absence de discrimination en dŽcoulant, au sens de l'article 14 de la mme convention. 23 La Commission considre Žgalement que le refus opposŽ ˆ Mme Grant n'est contraire ni ˆ l'article 119 du traitŽ ni ˆ la directive 75/117. De son point de vue, les discriminations fondŽes sur l'orientation sexuelle des travailleurs peuvent tre considŽrŽes comme des Çdiscriminations fondŽes sur le sexeÈ visŽes par cet article. Elle fait valoir, toutefois, que la discrimination dont se plaint Mme Grant n'est pas fondŽe sur son orientation sexuelle mais sur le fait qu'elle ne vit pas Çen coupleÈ ou avec un ÇconjointÈ, au sens que le droit de la plupart des ƒtats membres, le droit communautaire et le droit issu de la convention donnent ˆ ces notions. Elle estime que, dans ces conditions, la diffŽrence de traitement opŽrŽe par la rŽglementation en vigueur dans l'entreprise o travaille Mme Grant n'est pas contraire ˆ l'article 119 du traitŽ. 24 Au vu des ŽlŽments du dossier, il convient tout d'abord de rŽpondre ˆ la question de savoir si une condition fixŽe par un rglement d'entreprise, telle que celle en cause dans le litige au principal, constitue une discrimination fondŽe directement sur le sexe du travailleur. Dans la nŽgative, il y aura lieu, ensuite, de rechercher si le droit communautaire exige que les relations stables entre deux personnes du mme sexe soient assimilŽes par tout employeur aux relations entre personnes mariŽes ou aux relations stables hors mariage de deux personnes de sexe opposŽ. Enfin, il conviendra d'examiner la question de savoir si une discrimination fondŽe sur l'orientation sexuelle constitue une discrimination fondŽe sur le sexe du travailleur. 25 En premier lieu, il convient de relever que la rŽglementation applicable dans l'entreprise o travaille Mme Grant prŽvoit l'octroi de rŽductions sur le prix des transports au travailleur, ˆ son ÇconjointÈ, c'est-ˆ-dire ˆ la personne ˆ laquelle il est mariŽ et dont il n'est pas lŽgalement sŽparŽ, ou ˆ la personne de sexe opposŽ avec laquelle il entretient une relation ÇsignificativeÈ depuis deux ans ou plus, ˆ ses enfants, aux personnes de sa famille qui sont ˆ sa charge ainsi qu'ˆ son conjoint survivant. 26 Le refus opposŽ ˆ Mme Grant est fondŽ sur le fait qu'elle ne remplit pas les conditions prŽvues par cette rŽglementation et, plus particulirement, qu'elle ne vit pas avec un ÇconjointÈ ou avec une personne de sexe opposŽ avec laquelle elle entretient une relation ÇsignificativeÈ depuis deux ans ou plus. 27 Cette dernire condition, dont il rŽsulte que le travailleur doit vivre de manire stable avec une personne du sexe opposŽ pour pouvoir bŽnŽficier des rŽductions sur le prix des transports, est, de mme d'ailleurs que les autres conditions alternatives prŽvues par le rglement de l'entreprise, appliquŽe indŽpendamment du sexe du travailleur concernŽ. Ainsi, les rŽductions sur le prix des transports sont refusŽes ˆ un travailleur masculin s'il vit avec une personne du mme sexe de la mme manire qu'elles sont refusŽes ˆ un travailleur fŽminin s'il vit avec une personne du mme sexe. 28 Ds lors que la condition fixŽe par le rglement de l'entreprise s'applique de la mme manire aux travailleurs de sexe fŽminin qu'ˆ ceux de sexe masculin, elle ne saurait tre considŽrŽe comme constituant une discrimination directement fondŽe sur le sexe. 29 En deuxime lieu, il convient d'examiner si, s'agissant de l'application d'une condition telle que celle en cause dans le litige au principal, les personnes qui entretiennent une relation stable avec un partenaire du mme sexe sont dans la mme situation que les personnes mariŽes ou celles qui ont une relation stable hors mariage avec un partenaire du sexe opposŽ. 30 Mme Grant fait notamment valoir que le droit des ƒtats membres ainsi que celui de la CommunautŽ et d'autres organisations internationales assimilent de plus en plus souvent les deux situations. 31 A cet Žgard, s'il est vrai que, comme l'a relevŽ Mme Grant, le Parlement europŽen a dŽclarŽ qu'il dŽplorait toute discrimination motivŽe par la tendance sexuelle d'un individu, il n'en reste pas moins que la CommunautŽ n'a pas adoptŽ, jusqu'ˆ prŽsent, de normes procŽdant ˆ une telle assimilation. 32 En ce qui concerne le droit des ƒtats membres, si, dans certains d'entre eux, la communautŽ de vie entre deux personnes du mme sexe est assimilŽe au mariage, quoique incompltement, dans la plupart des ƒtats membres, elle n'est assimilŽe aux relations hŽtŽrosexuelles stables hors mariage que pour un nombre limitŽ de droits ou bien ne fait l'objet d'aucune reconnaissance particulire. 33 De son c™tŽ, la Commission europŽenne des droits de l'homme retient que, en dŽpit de l'Žvolution contemporaine des mentalitŽs vis-ˆ-vis de l'homosexualitŽ, des relations homosexuelles durables ne relvent pas du droit au respect de la vie familiale protŽgŽ par l'article 8 de la convention (voir, notamment, dŽcisions du 3 mai 1983, X. et Y./Royaume-Uni, n_ 9369/81, D R 32 p. 220; du 14 mai 1986, S./Royaume-Uni, n_ 11716/85, D R 47 p. 274, paragraphe 2, et du 19 mai 1992, Kerkhoven et Hinke/Pays-Bas, n_ 15666/89, non publiŽe, paragraphe 1) et que des dispositions nationales assurant, ˆ des fins de protection de la famille, un traitement plus favorable aux personnes mariŽes et aux personnes de sexe opposŽ cohabitant comme mari et femme qu'aux personnes de mme sexe ayant des relations durables ne sont pas contraires ˆ l'article 14 de la convention qui prohibe notamment les discriminations fondŽes sur le sexe (voir dŽcisions S./Royaume-Uni, prŽcitŽe, paragraphe 7; du 9 octobre 1989, C. et L. M./Royaume-Uni, n_ 14753/89, non publiŽe, paragraphe 2, et du 10 fŽvrier 1990, B./Royaume-Uni, n_ 16106/90, D R 64 p. 278, paragraphe 2). 34 Dans un contexte diffŽrent, la Cour europŽenne des droits de l'homme interprte d'ailleurs l'article 12 de la convention en ce sens qu'il ne vise que le mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologique diffŽrent (voir arrts de la Cour europŽenne des droits de l'homme du 17 octobre 1986, Rees, SŽrie A n_ 106, p. 19, paragraphe 49, et du 27 septembre 1990, Cossey, SŽrie A n_ 184, p. 17, paragraphe 43). 35 Il rŽsulte de ce qui prŽcde que, en l'Žtat actuel du droit au sein de la CommunautŽ, les relations stables entre deux personnes du mme sexe ne sont pas assimilŽes aux relations entre personnes mariŽes ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposŽ. Par consŽquent, un employeur n'est pas tenu par le droit communautaire d'assimiler la situation d'une personne qui a une relation stable avec un partenaire de mme sexe ˆ celle d'une personne qui est mariŽe ou qui a une relation stable hors mariage avec un partenaire de sexe opposŽ. 36 Dans ces circonstances, il ne peut appartenir qu'au lŽgislateur d'adopter, le cas ŽchŽant, des mesures susceptibles d'affecter cette situation. 37 En dernier lieu, Mme Grant soutient qu'il rŽsulte de l'arrt P./S., prŽcitŽ, que les diffŽrences de traitement fondŽes sur l'orientation sexuelle sont au nombre des Çdiscriminations fondŽes sur le sexeÈ prohibŽes par l'article 119 du traitŽ. 38 Dans cette dernire affaire, la Cour Žtait interrogŽe sur le point de savoir si une mesure de licenciement fondŽe sur le changement de sexe du travailleur concernŽ devait tre regardŽe comme une Çdiscrimination fondŽe sur le sexeÈ au sens de la directive 76/207. 39 Le juge de renvoi se demandait, en effet, si cette directive n'avait pas un champ d'application plus large que le Sex Discrimination Act 1975 (loi relative aux discriminations fondŽes sur le sexe) qu'il avait ˆ appliquer et qui, selon lui, ne couvrait que les discriminations fondŽes sur l'appartenance du salariŽ concernŽ ˆ l'un ou l'autre sexe. 40 Dans leurs observations devant la Cour, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission avaient soutenu que la directive ne prohibait que les discriminations trouvant leur origine dans l'appartenance du salariŽ concernŽ ˆ l'un ou ˆ l'autre sexe mais non celles fondŽes sur la conversion sexuelle du salariŽ. 41 En rŽponse ˆ cette argumentation, la Cour a relevŽ que les dispositions de la directive interdisant les discriminations entre les hommes et les femmes n'Žtaient que l'expression, dans le domaine limitŽ qui est le leur, du principe d'ŽgalitŽ, qui est l'un des principes fondamentaux du droit communautaire. Elle a estimŽ que cette circonstance plaidait contre une interprŽtation restrictive du champ d'application de ces dispositions et conduisait ˆ appliquer ces dernires aux discriminations qui trouvent leur origine dans la conversion sexuelle du travailleur. 42 La Cour a considŽrŽ que de telles discriminations Žtaient, en rŽalitŽ, fondŽes essentiellement, sinon exclusivement, sur le sexe de la personne concernŽe. Un tel raisonnement, qui conduit ˆ considŽrer que ces discriminations doivent tre interdites au mme titre que les discriminations fondŽes sur l'appartenance d'une personne ˆ un sexe dŽterminŽ, auxquelles elles sont trs Žtroitement liŽes, est limitŽ au cas de la conversion sexuelle d'un travailleur et ne s'applique donc pas aux diffŽrences de traitement fondŽes sur l'orientation sexuelle d'une personne. 43 Mme Grant estime cependant que, ˆ l'instar de certaines dispositions de droit national ou de conventions internationales, les dispositions communautaires en matire d'ŽgalitŽ de traitement entre les hommes et les femmes doivent tre interprŽtŽes en ce sens qu'elles couvrent les discriminations fondŽes sur l'orientation sexuelle. A cet Žgard, la requŽrante au principal se rŽfre notamment au pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 dŽcembre 1966 (recueil des traitŽs des Nations unies, vol. 999, p. 171), dans lequel, de l'avis du ComitŽ des droits de l'homme instituŽ conformŽment ˆ son article 28, la notion de ÇsexeÈ viserait aussi les prŽfŽrences sexuelles (communication n_ 488/1992, Toonen/Australie, constatations adoptŽes le 31 mars 1994, 50e session, point 8.7). 44 Sur ce point, il convient de rappeler que ledit pacte figure au nombre des instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme dont la Cour tient compte pour l'application des principes gŽnŽraux du droit communautaire (voir, par exemple, arrts du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 31, et du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, point 68). 45 Toutefois, si le respect des droits fondamentaux qui font partie intŽgrante de ces principes gŽnŽraux constitue une condition de la lŽgalitŽ des actes communautaires, ces droits ne peuvent en eux-mmes avoir pour effet d'Žlargir le champ d'application des dispositions du traitŽ au-delˆ des compŽtences de la CommunautŽ (voir, notamment, en ce qui concerne la portŽe de l'article 235 du traitŽ CE au regard du respect des droits de l'homme, avis 2/94, du 28 mars 1996, Rec p. I-1759, points 34 et 35). 46 En outre, dans la communication du ComitŽ des droits de l'homme ˆ laquelle se rŽfre Mme Grant, cet organe, qui n'est d'ailleurs pas une instance juridictionnelle et dont les constatations sont dŽpourvues de valeur juridique contraignante, s'est bornŽ, selon ses propres termes et sans donner de motivation particulire, ˆ Çobserver qu'ˆ son avis la rŽfŽrence au `sexe' au paragraphe 1 de l'article 2 et ˆ l'article 26 doit tre considŽrŽe comme recouvrant les prŽfŽrences sexuellesÈ. 47 Une telle observation, qui ne semble d'ailleurs pas reflŽter l'interprŽtation gŽnŽralement admise ˆ ce jour de la notion de discrimination fondŽe sur le sexe contenue dans diffŽrents instruments internationaux concernant la protection des droits fondamentaux, ne saurait donc, en tout Žtat de cause, amener la Cour ˆ Žlargir la portŽe de l'article 119 du traitŽ. Dans ces conditions, la portŽe de cet article, comme celle de toute disposition de droit communautaire, ne peut tre dŽterminŽe qu'en tenant compte de son libellŽ et de son objectif, ainsi que de sa place dans le systme du traitŽ et du contexte juridique dans lequel cette disposition s'insre. Or, il rŽsulte des considŽrations qui prŽcdent qu'en son Žtat actuel le droit communautaire ne couvre pas une discrimination fondŽe sur l'orientation sexuelle, comme celle qui fait l'objet du litige au principal. 48 Il y a lieu, cependant, d'observer que le traitŽ d'Amsterdam modifiant le traitŽ sur l'Union europŽenne, les traitŽs instituant les CommunautŽs europŽennes et certains actes connexes, signŽ le 2 octobre 1997, a prŽvu d'ajouter au traitŽ CE un article 6 A qui, aprs l'entrŽe en vigueur dudit traitŽ, permettra au Conseil de prendre, dans certaines conditions (vote ˆ l'unanimitŽ sur proposition de la Commission et aprs consultation du Parlement europŽen), les mesures nŽcessaires ˆ l'Žlimination de diffŽrentes formes de discriminations, et notamment de celles fondŽes sur l'orientation sexuelle. 49 Enfin, compte tenu de ce qui prŽcde, il n'est pas nŽcessaire d'examiner l'argument de Mme Grant tirŽ de ce qu'un refus tel que celui qui lui a ŽtŽ opposŽ n'est pas objectivement justifiŽ. 50 Par suite, il y a lieu de rŽpondre au juge national que le refus par un employeur d'octroyer une rŽduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de mme sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable, lorsqu'une telle rŽduction est accordŽe en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposŽ, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage, ne constitue pas une discrimination prohibŽe par l'article 119 du traitŽ ou par la directive 75/117. Sur les dŽpens 51 Les frais exposŽs par le gouvernement du Royaume-Uni et franais et par la Commission des CommunautŽs europŽennes, qui ont soumis des observations ˆ la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procŽdure revtant, ˆ l'Žgard des parties au principal, le caractre d'un incident soulevŽ devant la juridiction nationale, il appartient ˆ celle-ci de statuer sur les dŽpens. Par ces motifs, LA COUR statuant sur les questions ˆ elle soumises par l'Industrial Tribunal, Southampton, par jugement du 17 juillet 1996, dit pour droit: Le refus par un employeur d'octroyer une rŽduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de mme sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable, lorsqu'une telle rŽduction est accordŽe en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposŽ, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage, ne constitue pas une discrimination prohibŽe par l'article 119 du traitŽ CE ou par la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 fŽvrier 1975, concernant le rapprochement des lŽgislations des ƒtats membres relatives ˆ l'application du principe de l'ŽgalitŽ des rŽmunŽrations entre les travailleurs masculins et les travailleurs fŽminins. © European Communities, 1999 All rights reserved