concernant la condamnation de
témoins de Jéhovah pour la mise en place d'une maison de prière sans
autorisation administrative préalable
dans l'affaire Manoussakis et autres contre la Grèce, arrêt du 26 septembre
1996
(adoptée par le Comité des
Ministres le 26 octobre 2005,
lors de la 940e réunion des Délégués des Ministres)
Le Comité des Ministres, en vertu de l'ancien article 54 de la
Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales
(ci-après dénommée «la Convention»),
Vu l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme rendu le 26 septembre 1996
dans l'affaire Manoussakis et autres et transmis à la même date au Comité des
Ministres ;
Rappelant qu'à l'origine de cette affaire se trouve une requête (no
18748/91) dirigée contre la Grèce, introduite devant la Commission européenne
des Droits de l'Homme le 7 août 1991 en vertu de l'ancien article 25 de la
Convention, par M. Titos Manoussakis,
M. Constantinos Makridakis, M. Kyriakos Baxevanis et
M. Vassilios Hadjakis, ressortissant grecs, et que la Commission
a déclaré recevable le grief concernant l'atteinte à la liberté de religion des
requérants, des témoins de Jéhovah, en raison de leur condamnation pénale en
1991, en vertu de la loi no 1363/1938 et du décret royal du 20 mai /
2 juin 1939 qui imposaient l'autorisation préalable de l'autorité
ecclésiastique reconnue et du ministère de l'Education nationale et des Cultes
pour l'utilisation de lieux de réunions privés, de prières ou autres cérémonies
religieuses ;
Rappelant que l'affaire a été portée devant la Cour par la Commission le 5
juillet 1995 ;
Considérant que dans son arrêt du 26 septembre 1996 la Cour, à
l'unanimité :
- a dit qu'il y avait eu violation de l'article 9 de la
Convention ;
- a dit que le présent arrêt constituait une satisfaction équitable au titre
du préjudice moral allégué ;
- a dit que le gouvernement de l'Etat défendeur devait verser à la
partie requérante, dans les trois mois, 4 030 100 drachmes au titre
des frais et dépens, montant à majorer d'un intérêt non capitalisable de 6%
l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
Vu les Règles adoptées par le Comité des Ministres relatives à
l'application de l'article 46, paragraphe 2, de la Convention telle qu'amendée
par le Protocole no 11, règles qui s'appliquent par décision du
Comité des Ministres aux affaires relevant de l'ancien article 54 ;
Ayant invité le gouvernement de l'Etat défendeur à l'informer des mesures
prises à la suite de l'arrêt du 26 septembre 1996, eu égard à
l'obligation qu'a la Grèce de s'y conformer selon l'ancien article 53 de la
Convention ;
Considérant que lors de l'examen de cette affaire par le Comité des
Ministres, le gouvernement de l'Etat défendeur a donné à celui-ci des
informations sur les mesures prises permettant d'octroyer aux requérants une
réparation intégrale pour les violations constatées (restitutio in integrum)
et d'éviter de nouvelles violations semblables à celles constatées dans cet
arrêt ; ces informations sont résumées dans l'annexe à la présente
résolution ;
Notant avec satisfaction l'effet direct reconnu par le gouvernement grec à
l'arrêt de la Cour européenne, les améliorations ultérieures concernant les
droits de recours internes existant ainsi que l'engagement du gouvernement de
faire en sorte que la nouvelle situation juridique et la nouvelle pratique
soient mieux reflétées dans la législation concernée (voir annexe) ;
S'étant assuré que le 23 décembre 1996, dans le délai imparti, le
gouvernement de l'Etat défendeur avait versé à la partie requérante la somme
prévue dans l'arrêt du 26 septembre 1996,
Déclare, après avoir examiné les informations fournies par le Gouvernement
de la Grèce, qu'il a rempli ses fonctions en vertu de l'ancien article 54
(nouvel article 46, paragraphe 2) de la Convention dans la présente affaire.
Annexe à la Résolution
ResDH(2005)87
Informations fournies par le
Gouvernement de la Grèce
lors de l'examen de l'affaire Manoussakis et autres
par le Comité des Ministres
Mesures d'ordre individuel visant à assurer la restitutio
in integrum pour les requérants
Les requérants ont obtenu le 13 janvier 1997
l'autorisation d'ouvrir un lieu de culte. De plus, la loi 2856/2000
(établissant un nouvel article 525, paragraphe 1(5), du Code de procédure
pénale) a permis aux requérants de demander un recours en révision de la
procédure pénale à la suite de l'arrêt de la Cour européenne. L'affaire a donc
été réexaminée et la condamnation de 1990 cassée par l'arrêt no 297/2002
de la Chambre de la Cour d'Appel de Crète. Par la même décision, les poursuites
engagées contre les requérants ont été définitivement classées.
Mesures
d'ordre général
Le Conseil d'Etat avait estimé dès 1991 que
« l'autorisation » de l'autorité ecclésiastique requise par la loi no 1363/1938
telle que mise en application par le décret royal du
20 mai /2 juin 1939 concernant la construction et le
fonctionnement des lieux de culte était un simple avis qui ne liait pas le
ministre (voir paragraphe 26 de l'arrêt de la Cour européenne).
A la suite de l'arrêt de la Cour européenne, la pratique
du Gouvernement en matière d'exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre
des lois précitées a immédiatement été mise en conformité avec la jurisprudence
de la Cour européenne, ce qui atteste de l'effet direct reconnu en droit grec à
la Convention européenne des Droits de l'Homme et à la jurisprudence de la Cour
européenne. A la suite de l'arrêt de la Cour, le contrôle du ministère de
l'Education et des Cultes a porté uniquement sur les conditions formelles
fixées par le décret précité (voir paragraphe 47 de l'arrêt de la Cour
européenne). En conséquence, à la suite de cet arrêt, l'administration a donné
son autorisation dans toutes les affaires analogues, à l'exception d'une
concernant des scientologues, dont la demande a été rejetée pour des motifs
purement procéduraux et n'a jamais pas fait l'objet d'un recours devant le
Conseil d'Etat.
Les Délégués des Ministres se sont félicités de la
stabilité de cette pratique administrative à la suite de l'arrêt de la Cour
européenne, ce qui a effectivement empêché que de nouvelles violations ne
soient commises.
Cette situation a été confirmée par les tribunaux grecs.
Ainsi, se fondant sur l'arrêt de la Cour européenne dans l'affaire Manoussakis
et autres, la Cour de cassation a jugé à l'unanimité le 6 décembre 2001
(arrêt no 20/2001), dans le contexte d'une affaire pénale
concernant l'ouverture irrégulière d'un lieu de culte en 1994 que le
« pouvoir discrétionnaire absolu » reconnu à l'administration par
l'article 1, paragraphes 1(c) et 3, du Décret royal du
20 mai/2 juin 1939 constituait « une limitation intolérable de
la liberté de croyance religieuse, ce qui était contraire à l'article 13,
paragraphes 1 et 2, de la Constitution et à l'article 9,
paragraphes 1 et 2, de la Convention européenne des droits de
l'homme ».
L'effectivité du contrôle de cette nouvelle pratique par
le Conseil d'Etat s'est considérablement améliorée aujourd'hui, y compris
l'application à bon escient des exigences purement formelles qui doivent encore
être respectées lors de la demande d'un permis de construction ou de
fonctionnement d'un lieu de culte. S'il est vrai que la Cour européenne avait
estimé au moment des faits que ce contrôle était insuffisant au regard de la
Convention européenne, le Gouvernement souligne que la procédure est devenue
considérablement plus rapide aujourd'hui (voir Résolution finale ResDH(2005)65
relative à l'affaire Pafitis et autres contre Grèce et à d'autres
affaires, et le plein respect par l'administration des décisions du Conseil
d'Etat a été assuré (voir Résolution finale ResDH(2004)81 relative à l'affaire
Hornby contre Grèce et à d'autres affaire). Cela a aussi éliminé la possibilité
que des décisions administratives ne souffrent de retards, y compris l'examen
judiciaire de ceux-ci pendant une délai excessivement long.
L'attention de la population et des milieux de juristes a
aussi été rapidement attirée sur les exigences de la Convention européenne des
Droits de l'Homme, précisées dans l'arrêt de la Cour européenne, en ce qui
concerne le fonctionnement des lieux de culte, car l'arrêt de la Cour
européenne, accompagné de commentaires détaillés, a été publié dans des revues
juridiques largement diffusées comme To Syntagma 4/1997,
p. 1013-1027 et Yperaspisi 4/1997, p. 910-952.
Conclusion
Etant donné ce qui précède, le Gouvernement grec est
d'avis que toutes les conséquences de la violation subie par les requérants en
l'espèce ont été supprimées. Il souligne qu'aucune violation analogue ne s'est
produite depuis, et qu'il n'y en aura pas d'autre à l'avenir. Il estime en
conséquence que la Grèce s'est conformée à l'arrêt de la Cour en l'espèce.
Dans un cadre plus large, la Grèce réfléchit
actuellement, notamment au vu de la Recommandation (2004) 5 du Comité
des Ministres, à la façon de refléter dans la législation, la situation
juridique et la pratique qui se sont instaurées, notamment dans la loi no 1363/1938
et le décret royal du 10 mai/2 juin 1939. Ce faisant, il tient dûment
compte de la jurisprudence de la Cour, des recommandations du Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe et, plus généralement, des normes du
Conseil de l'Europe dans ce domaine.