Résolution ResDH(2005)87

concernant la condamnation de témoins de Jéhovah pour la mise en place d'une maison de prière sans autorisation administrative préalable
dans l'affaire Manoussakis et autres contre la Grèce, arrêt du 26 septembre 1996

 

(adoptée par le Comité des Ministres le 26 octobre 2005,
lors de la 940e réunion des Délégués des Ministres)

 

 

Le Comité des Ministres, en vertu de l'ancien article 54 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée «la Convention»),

 

Vu l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme rendu le 26 septembre 1996 dans l'affaire Manoussakis et autres et transmis à la même date au Comité des Ministres ;

 

Rappelant qu'à l'origine de cette affaire se trouve une requête (no 18748/91) dirigée contre la Grèce, introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 7 août 1991 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention, par M. Titos Manoussakis, M. Constantinos Makridakis, M. Kyriakos Baxevanis et M. Vassilios Hadjakis, ressortissant grecs, et que la Commission a déclaré recevable le grief concernant l'atteinte à la liberté de religion des requérants, des témoins de Jéhovah, en raison de leur condamnation pénale en 1991, en vertu de la loi no 1363/1938 et du décret royal du 20 mai / 2 juin 1939 qui imposaient l'autorisation préalable de l'autorité ecclésiastique reconnue et du ministère de l'Education nationale et des Cultes pour l'utilisation de lieux de réunions privés, de prières ou autres cérémonies religieuses ;

 

Rappelant que l'affaire a été portée devant la Cour par la Commission le 5 juillet 1995 ;

 

Considérant que dans son arrêt du 26 septembre 1996 la Cour, à l'unanimité :

 

-  a dit qu'il y avait eu violation de l'article 9 de la Convention ;

 

- a dit que le présent arrêt constituait une satisfaction équitable au titre du préjudice moral allégué ;

 

-  a dit que le gouvernement de l'Etat défendeur devait verser à la partie requérante, dans les trois mois, 4 030 100 drachmes au titre des frais et dépens, montant à majorer d'un intérêt non capitalisable de 6% l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;

 

Vu les Règles adoptées par le Comité des Ministres relatives à l'application de l'article 46, paragraphe 2, de la Convention telle qu'amendée par le Protocole no 11, règles qui s'appliquent par décision du Comité des Ministres aux affaires relevant de l'ancien article 54 ;

 

Ayant invité le gouvernement de l'Etat défendeur à l'informer des mesures prises à la suite de l'arrêt du 26 septembre 1996, eu égard à l'obligation qu'a la Grèce de s'y conformer selon l'ancien article 53 de la Convention ;

 

Considérant que lors de l'examen de cette affaire par le Comité des Ministres, le gouvernement de l'Etat défendeur a donné à celui-ci des informations sur les mesures prises permettant d'octroyer aux requérants une réparation intégrale pour les violations constatées (restitutio in integrum) et d'éviter de nouvelles violations semblables à celles constatées dans cet arrêt ; ces informations sont résumées dans l'annexe à la présente résolution ;

 

Notant avec satisfaction l'effet direct reconnu par le gouvernement grec à l'arrêt de la Cour européenne, les améliorations ultérieures concernant les droits de recours internes existant ainsi que l'engagement du gouvernement de faire en sorte que la nouvelle situation juridique et la nouvelle pratique soient mieux reflétées dans la législation concernée (voir annexe) ;

 

S'étant assuré que le 23 décembre 1996, dans le délai imparti, le gouvernement de l'Etat défendeur avait versé à la partie requérante la somme prévue dans l'arrêt du 26 septembre 1996,

 

Déclare, après avoir examiné les informations fournies par le Gouvernement de la Grèce, qu'il a rempli ses fonctions en vertu de l'ancien article 54 (nouvel article 46, paragraphe 2) de la Convention dans la présente affaire.

 

 

Annexe à la Résolution ResDH(2005)87

 

Informations fournies par le Gouvernement de la Grèce
lors de l'examen de l'affaire Manoussakis et autres
par le Comité des Ministres

 

Mesures d'ordre individuel visant à assurer la restitutio in integrum pour les requérants

 

Les requérants ont obtenu le 13 janvier 1997 l'autorisation d'ouvrir un lieu de culte. De plus, la loi 2856/2000 (établissant un nouvel article 525, paragraphe 1(5), du Code de procédure pénale) a permis aux requérants de demander un recours en révision de la procédure pénale à la suite de l'arrêt de la Cour européenne. L'affaire a donc été réexaminée et la condamnation de 1990 cassée par l'arrêt no 297/2002 de la Chambre de la Cour d'Appel de Crète. Par la même décision, les poursuites engagées contre les requérants ont été définitivement classées.

 

Mesures d'ordre général

 

Le Conseil d'Etat avait estimé dès 1991 que « l'autorisation » de l'autorité ecclésiastique requise par la loi no 1363/1938 telle que mise en application par le décret royal du 20 mai /2 juin 1939 concernant la construction et le fonctionnement des lieux de culte était un simple avis qui ne liait pas le ministre (voir paragraphe 26 de l'arrêt de la Cour européenne).

 

A la suite de l'arrêt de la Cour européenne, la pratique du Gouvernement en matière d'exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre des lois précitées a immédiatement été mise en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne, ce qui atteste de l'effet direct reconnu en droit grec à la Convention européenne des Droits de l'Homme et à la jurisprudence de la Cour européenne. A la suite de l'arrêt de la Cour, le contrôle du ministère de l'Education et des Cultes a porté uniquement sur les conditions formelles fixées par le décret précité (voir paragraphe 47 de l'arrêt de la Cour européenne). En conséquence, à la suite de cet arrêt, l'administration a donné son autorisation dans toutes les affaires analogues, à l'exception d'une concernant des scientologues, dont la demande a été rejetée pour des motifs purement procéduraux et n'a jamais pas fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat.

 

Les Délégués des Ministres se sont félicités de la stabilité de cette pratique administrative à la suite de l'arrêt de la Cour européenne, ce qui a effectivement empêché que de nouvelles violations ne soient commises.

 

Cette situation a été confirmée par les tribunaux grecs. Ainsi, se fondant sur l'arrêt de la Cour européenne dans l'affaire Manoussakis et autres, la Cour de cassation a jugé à l'unanimité le 6 décembre 2001 (arrêt no 20/2001), dans le contexte d'une affaire pénale concernant l'ouverture irrégulière d'un lieu de culte en 1994 que le « pouvoir discrétionnaire absolu » reconnu à l'administration par l'article 1, paragraphes 1(c) et 3, du Décret royal du 20 mai/2 juin 1939 constituait « une limitation intolérable de la liberté de croyance religieuse, ce qui était contraire à l'article 13, paragraphes 1 et 2, de la Constitution et à l'article 9, paragraphes 1 et 2, de la Convention européenne des droits de l'homme ».

 

L'effectivité du contrôle de cette nouvelle pratique par le Conseil d'Etat s'est considérablement améliorée aujourd'hui, y compris l'application à bon escient des exigences purement formelles qui doivent encore être respectées lors de la demande d'un permis de construction ou de fonctionnement d'un lieu de culte. S'il est vrai que la Cour européenne avait estimé au moment des faits que ce contrôle était insuffisant au regard de la Convention européenne, le Gouvernement souligne que la procédure est devenue considérablement plus rapide aujourd'hui (voir Résolution finale ResDH(2005)65 relative à l'affaire Pafitis et autres contre Grèce et à d'autres affaires, et le plein respect par l'administration des décisions du Conseil d'Etat a été assuré (voir Résolution finale ResDH(2004)81 relative à l'affaire Hornby contre Grèce et à d'autres affaire). Cela a aussi éliminé la possibilité que des décisions administratives ne souffrent de retards, y compris l'examen judiciaire de ceux-ci pendant une délai excessivement long.

 

L'attention de la population et des milieux de juristes a aussi été rapidement attirée sur les exigences de la Convention européenne des Droits de l'Homme, précisées dans l'arrêt de la Cour européenne, en ce qui concerne le fonctionnement des lieux de culte, car l'arrêt de la Cour européenne, accompagné de commentaires détaillés, a été publié dans des revues juridiques largement diffusées comme To Syntagma 4/1997, p. 1013-1027 et Yperaspisi 4/1997, p. 910-952.

 

Conclusion

 

Etant donné ce qui précède, le Gouvernement grec est d'avis que toutes les conséquences de la violation subie par les requérants en l'espèce ont été supprimées. Il souligne qu'aucune violation analogue ne s'est produite depuis, et qu'il n'y en aura pas d'autre à l'avenir. Il estime en conséquence que la Grèce s'est conformée à l'arrêt de la Cour en l'espèce.

 

Dans un cadre plus large, la Grèce réfléchit actuellement, notamment au vu de la Recommandation (2004) 5 du Comité des Ministres, à la façon de refléter dans la législation, la situation juridique et la pratique qui se sont instaurées, notamment dans la loi no 1363/1938 et le décret royal du 10 mai/2 juin 1939. Ce faisant, il tient dûment compte de la jurisprudence de la Cour, des recommandations du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et, plus généralement, des normes du Conseil de l'Europe dans ce domaine.